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Raja Farhat, écrivain, acteur et metteur en scène tunisien: “Aujourd’hui, on paie le mépris de la démocratie et de l’ajournement perpétuel de la liberté”

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Raja Farhat, écrivain, acteur et metteur en scène tunisien: “Aujourd’hui, on paie le mépris de la démocratie et de l’ajournement perpétuel de la liberté”
Casablanca, (Starducongo.com) - Animateur et expert culturel reconnu, Raja Farhat est un acteur important de la scène culturelle et artistique tunisienne qui s’illustra très jeune dans ce domaine en créant le théâtre du Sud dans la région des mines de Gafsa. Avant d’occuper diverses fonctions et de diriger de prestigieuses manifestations culturelles.

L’écrivain, acteur, metteur en scène et réalisateur, qui donnera en janvier prochain une représentation de sa dernière création, «Bourguiba, dernière prison», à Casablanca, Rabat et Tanger, sur invitation de l’Association socioculturelle Al Manar, est aussi un fin connaisseur de la scène culturelle et artistique marocaine dont il loue les spécificités.

Ce grand homme de théâtre et de spectacle s’est confié à nous sur diverses questions touchant pour l’essentiel à la culture, la presse, aux réseaux sociaux et à la liberté dans la Tunisie post-révolutionnaire.

Starducongo.com: Votre dernière pièce de théâtre « Bourguiba, dernière prison » s’intéresse à une grande figure politique arabe : Habib Bourguiba. Pourquoi maintenant et pas avant ?

Raja Farhat
: Tout simplement parce qu’avant c’était interdit. Bourguiba était censuré du temps de la dictature. Ben Ali souffrait d’un grand complexe vis-à-vis de ce monsieur. Il y avait donc une sorte d’opacité totale dans le dessein de l’occulter. Maintenant que le débat est libre et ouvert, on peut poser les jalons d’une réflexion nationale et arabe sur les grandes options intellectuelle, politique, économique et sociale pour résoudre la quadrature du cercle: comment être des musulmans modernes au 21ème.

Lorsque vous vous êtes lancé dans cette aventure, quelle a été la réaction de vos amis artistes?

Ils étaient dubitatifs et n’y croyaient pas. Ils pensaient que c’est immense voire mégalomane, que c’est un sujet plutôt difficile parce que Bourguiba n’était pas un ange. Il s’agit d’un chef d’Etat, donc, il y a eu mort d’hommes, des opposants en prison et au premier lieu, mon défunt père qui était un opposant politique et un syndicaliste mort en prison.
Ils étaient étonnés et un peu décantenancés par mon choix. Mais je leur ai expliqué que nous avons un devoir de mémoire très important: nous avons un peuple qui a été privé de sa mémoire, mutilé dans sa mémoire, comme c’est le cas de beaucoup de peuples. Il faut restaurer la mémoire nationale afin que le débat puisse avoir lieu sur des bases saines.

Vous avez dirigé plusieurs institutions culturelles et en avez créé certaines. Quelle est aujourd’hui la place de la culture dans la Tunisie post-révolutionnaire?

L’une des déceptions les plus marquantes de la période actuelle en Tunisie, c’est l’absence de vision, de projet culturel dans la plupart des programmes politiques. Les partis politiques tunisiens sont absolument incurables: ils voudraient refaire le monde sans réfléchir. Hors la culture, c’est réfléchir à notre condition humaine, à la condition de la femme, de l’enfant, au problème de l’éducation artistique, celui de la création littéraire, de la vie philosophique de la nation. Ils ne s’y intéressent pas, c’est le cadet de leurs soucis.
Nous leur rappelons toujours que la Chine compte aujourd’hui 60 millions de violonistes et 40 millions de pianistes. Pourquoi ? Parce qu’elle veut conquérir le monde ; elle doit parler le langage universel, c’est-à-dire la culture. Sans Mozart, il n’y a pas de conquête du monde. C’est aussi simple que cela.

Que pensez-vous de la presse tunisienne d’aujourd’hui ? Quel regard portez-vous sur les médias en général ?

Un capharnaüm incroyable. Il y a eu des dizaines de titres et la plupart ont failli naturellement, faute de professionnalisme, de capitaux, etc. Il y a cette maladie infantile de la presse qui est le populisme, le sensationnalisme. La bonne presse a été tuée par cette école des tabloïds anglais, des journaux à scandale, des informations non vérifiées. Tellement que la justice travaille jour et nuit sur des procès en diffamation causés par des journalistes un peu espiègles, un peu légers dans leurs attaques. Si je dois dire les choses honnêtement, actuellement, le tableau n’est pas très beau.

Il est une autre presse qui a joué un rôle important dans la Révolution tunisienne, c’est la presse électronique. Avez-vous le sentiment qu’elle pourrait encore jouer un rôle contre ceux qui seraient tentés de revenir sur certains acquis?

La presse électronique et les sites sociaux sont l’oxygène de la démocratie, c’est une démocratie directe. N’importe qui peut pondre un article sur n’importe quel sujet et avoir quelques centaines de lecteurs immédiatement. C’est la simultanéité qui, personnellement, me fascine. J’appartiens à une génération qui n’a pas vécu avec Internet …

Vous avez pourtant été directeur éditorial d’un portail…

C’est vrai, il a fallu s’y mettre grâce aux Canadiens et à ma période canadienne dans la Francophonie: j’étais directeur à la Francophonie. Par la suite, quand j’ai conduit ce travail sur le portail électronique de la culture tunisienne avec la Banque mondiale, c’était l’ouverture d’espace absolument promoteur. Aujourd’hui, il est incontestable que les sites sociaux constituent un café, un forum démocratique absolument ouvert à tous les vents où les islamistes rivalisent d’inventions et d’astuces avec des laïcs et des modernistes, ce qui est tout à fait bon pour la démocratie.

Vous connaissez bien la scène culturelle marocaine, vous êtes même le fondateur du Festival international d’Asilah et vous avez contribué à l’Encyclopédie des arts marocains. Selon vous, qu’est-ce qui fait aujourd’hui la spécificité de la culture marocaine et qui vous intéresse particulièrement ?

Ce qui m’intéresse, c’est ce contraste permanent et fécond entre traditions et modernité, entre passé et futur et surtout, le dynamisme de jeunes créateurs marocains. Ils sont promoteurs dans tous les domaines de l’art.

Vous parliez avec beaucoup d’optimisme de Bourguiba lors de la conférence de présentation de votre pièce. Mais vous semblez aussi préoccupé, comme si l’héritage de ce grand homme se heurtait à quelque chose ? A quoi pensez-vous exactement, quelle est votre préoccupation ?

J’appartiens à une génération qui a vénéré l’expérience indienne. On n’en parle pas beaucoup dans le monde arabo-musulman, on parle plus du Pakistan qui n’est pas un bel exemple de démocratie : ce sont des coups d’Etat à répétition, des assassinats et des guerres civiles.

L’Inde a construit la première démocratie parlementaire du monde, 750 millions d’Indiens élisent leur parlement tous les 4 ans. Et le Time the India est publié tous les matins pour critiquer le gouvernement sans fin depuis l’indépendance de l’Inde. C’est le meilleur exemple de démocratie pour l’Afrique et pour le monde arabe ; c’est la meilleure école.

Avant, on jetait un regard de mépris sur l’Inde parce que la pauvreté était criante et que c’est une péninsule d’1 milliard d’habitants, etc. Mais aujourd’hui, ce pays est en train d’étonner tout le monde. C’est un géant qui se réveille avec une puissance nucléaire et technologique. C’est un des mastodontes de l’informatique dans le monde. Aujourd’hui, allez voir l’industrie automobile : ils sont en train de racheter les vieilles maisons anglaises. C’est la preuve qu’ils ont bien choisi, que les deux avocats cultivés, le Mahatma Gandhi et Nehru, ont choisi le bon chemin pour construire un avenir certain pour l’Inde.
Donc, ce qui me gêne et m’a toujours gêné non pas pour Bourguiba uniquement mais pour l’ensemble du leadership arabe, c’est ce mépris de la démocratie, cette espèce d’ajournement, de report perpétuel de la liberté. Ce rendez-vous avec la liberté qui a été raté, on en paie le prix aujourd’hui par le terrorisme, par les retards accumulés, par la déconfiture de certains pays qui tombent, par ce qui se passe en Egypte et en Libye aujourd’hui.

C’est assez épouvantable ce qui se passe en Syrie et en Irak. Les principaux pays arabes sont saignés à blanc par mille conflits confessionnels d’un autre âge, etc. La bêtise est au pouvoir et le sort de ces peuples est on ne peut plus menacé alors que les ressources sont là. Le Soudan pourrait nourrir toute l’Afrique, mais on ne fait rien : ils croupissent dans un état de déconfiture générale avec cette espèce de général d’opérette de l’ancien temps, avec ces rivalités tribales, ces déchirures. Alors que le Nil coule sur une terre fertile qui pourrait donner de la nourriture à toute l’Afrique, toutes les études le prouvent.

Propos recueillis par Alain Bouithy
bouithy@starducongo.com

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