Quantcast
Viewing all articles
Browse latest Browse all 6356

Littérature d’Afrique centrale. « L’Ingratitude du caïman » (1), un roman d’Isaac Djoumali Sengha

Un récit à deux niveaux : la brève époque des jeunes Cyril et Serge au début de la guerre du 5 juin 1997 qui laisse la place à une longue analepse qui définit l’histoire on ne peut plus dramatique de l’officier militaire André Mambou. « L’Ingratitude du caïman », un roman qui vient enrichir la littérature congolaise.
Image may be NSFW.
Clik here to view.
Littérature d’Afrique centrale. « L’Ingratitude du caïman » (1), un roman d’Isaac Djoumali Sengha
Sur les bancs de l’école, le jeune Mambou, encore adolescent, est déjà père de l’enfant qui va naître de son premier amour de jeunesse Marguerite, quand il sera en URSS pour une formation militaire. Et cela après avoir été enrôlés de force dans l’armée, lui et son ami Kabongo, par punition pour indiscipline quand ils sont à l’université de Brazzaville. En séjour en URSS, il épouse la Soviétique Lara avec qui il a deux enfants. De retour au pays, Mambou et son ami Kabongo se confrontent aux réalités sociales du pays. Henriette qui travaille dans les services de Mambou devient la maîtresse de ce dernier. Leurs relations feront que la femme attendra un enfant de lui. Pour ne pas frustrer son épouse Lara qui l’a rejoint à Brazzaville, Mambou demande d’être affecté à Impfondo dans le Congo septentrional. A partir de ce moment, il est rattrapé par le passé et meurtri par le présent. Il est confronté à l’attitude vengeresse de Marguerite, la mère de son premier gosse qu’il reconnaîtra plusieurs décennies après. Au pays, André Mambou et sa petite famille visitent les villes de Loubomo et Pointe Noire. Aussi Lara découvre-t-elle la largesse de la famille africaine. Ayant travaillé comme médecin à Brazzaville et à Impfondo, Lara s’adapte aux réalités de la société congolaise. Et ce sont ces mêmes réalités qui feront que Mambou et un de ses amis Balloux se retrouvent injustement en prison car ne s’intéressant pas à la politique. Sauvés de prison par Kabango qui profite d’un heureux hasard : la libération des prisonniers exigée par Amnesty International et la Fédération Internationale des Droits de l’Homme. Ses prisonniers libérés malgré lui, Birden, le chef de la sécurité d’État qui était à l’origine de leur attestation, ne s’avoue pas vaincu. Le colonel Mamalay, grand ami de Mambou, meurt dans un accident énigmatique. Et cette mort apparaît pour la famille Mambou comme la fin d’un rêve. C’est avec grande douleur que les enfants de Mambou vont réaliser cette perte. Et du récit de la mort de Mamalay, le roman tombe quelques années plus tard dans un autre récit de la mort : celle de l’annonce de la guerre du 5 juin 1997 au cours de laquelle apparaissent Marguerite. Et aussi son enfant Cyriaque aux côtés d’autres jeunes. « L’Ingratitude du caïman », un roman polyphonique où le héros Mambou occupe une grande place, de l’adolescence à l’âge adulte.

André Mambou et Jean-François Kabongo : des souvenirs et des souvenirs

Se connaissant depuis leur adolescence, Mambou et Kabongo affrontent ensemble les péripéties de la vie. Mambou du sud et Kabongo du nord dépassent à travers leur amitié l’absurdité du régionalisme et du tribalisme. Déjà étudiants en 1972, ils sont enrôlés dans l’armée : une punition du chef de l’État qui n’avait pas accepté que l’on désapprouve les militaires de l’époque : « Le jour de la rentrée universitaire (…) en présence de Marien Ngouabi [président de la République], le délégué des étudiants (…) avait critiqué sévèrement l’Armée évoquant son inutilité et son caractère improductif dans un pays sous-développé. Ces propos avaient irrité le Commandant président qui avait aussitôt décrété l’enrôlement de tout étudiant [dont Mambou et Kabongo] en situation d’échec » (p.67). C’est à partir de ce moment que le récit se concentre sur l’image des hommes en uniforme tout au long de son déroulement.

La « militarisation » du texte de Djoumali Sengha

C’est quand Mambou revient de sa formation militaire de Moscou que le récit se focalise plus sur l’image de l’armée. C’est au sein de cette institution que le complot va faire ses victimes. Le colonel Birden-Olécataid, choisi par le pouvoir pour lutter contre les ennemis de la Révolution, s’en prend à Kabongo. Celui-ci est surpris car mêlé injustement à des explosions des bombes qui ont lieu à l’aéroport de Maya Maya. Pour échapper aux turpitudes politiques de Brazzaville, Mambou va travailler à Impfondo. Après Kabongo, Birden s’en prend Mambou. Son ami le colonel Balloux et lui sont victimes d’un complot imaginé par Birden devenu incontournable au niveau de la Sécurité d’État : « (…) on le craignait et surtout. Sur ses ordres, la détention du colonel Balloux et du commandant Mambou fut prolongée » (p.198). Même quand ils sont innocentés pour les attentats de 1982, Birden les inculpent d’attentat à la sécurité de l’État car suspectés avec des prieurs d’avoir fomenté un autre complot. Ils seront gardés à la Cité des Seize de Brazzaville en attendant leur procès. Aussi, la détention de Mambou accentue la « militarisation » du récit. Le colonel Mamalay, celui-là même qui trouve la mort dans des conditions énigmatiques, rassemble quelques jeunes militaires ambitieux afin de libérer Mambou dans un pays en crise : « Mamalay avait rassemblé des jeunes militaires désireux d’assouvir des ambitions personnelles (…) et des officiers supérieurs mécontents de la conduite du pays » (p.245). Et l’image des hommes en tenue apparaît aussi dans les souvenirs de l’ancien combattant, le vieux Landa et à travers les jeunes Cyriaque Mambou et Marc Timboungou dans la parenthèse de la guerre du 5 juin 1997.

La femme dans « L’Ingratitude du caïman »

En dehors de Ma Marie qui a élevé Marguerite, Nani-Judi la domestique de Lara, Paulette la conquête amoureuse du vieux Landa en France, il y a trois femmes qui marquent le destin du héros Mambou qui les a connues toutes sentimentalement. Marguerite est son premier amour de jeunesse. De leur amour, naîtra le petit Cyriaque quand Mambou est en formation militaire eu URSS. Il reconnaîtra l’enfant à son retour au pays. Marguerite, une femme qui connaît une vie sentimentale tumultueuse. Après sa séparation on ne peut plus rocambolesque avec Mambou, elle va vivre en couple avec un certain Gaston après une relation passagère avec Dominique.

Henriette est la maîtresse de Mambou dès son retour de l’étranger. Elle apparaît comme le prototype de la femme africaine. Elle devient « insupportable » quand Mambou lui révèle l’existence de son premier fils, fruit de son amour de jeunesse. Pour sauvegarder son amour pour Mambou, elle demande les services d’un medium qui lui prédit malheureusement le pire. La rupture s’avère totale quand Henriette annonce à Mambou qu’elle enceinte et ne voudrait pas avorter ; une situation qui perturbe le héros vis-à-vis de Lara : « Il résolut (…) de ne rien avouer à son épouse et de mettre une distance dissuasive entre Henriette et lui. Il sollicita une affectation à la garnison d’Impfondo (…). Loin d’Henriette, loin de ce gosse qu’il n’avait pas désiré » (p.30).
Lara la Soviétique, une Européenne à la croisée de deux civilisations. Elle s’adapte vite à la culture congolaise. Médecin, elle est sollicitée par une grande partie de la gent féminine. Les voyages qu’elle effectue dans quelques villes congolaises avec son mari lui font découvrir moult réalités de la société congolaise tels le complot militaire et politique dont sera victime son mari : « (…) elle n’ignorait pas que les rafles et les privations arbitraires de liberté étaient monnaie courante. Mais cette fois, on s’en était pris à son homme » (p.244). Elle découvre une spécificité des us et coutumes du Congo lors des obsèques de son beau-père. Elle est surprise quand elle est empêchée d’être à côté de la veuve dont le comportement paraît bizarre pour elle : « Une des tantes lui apprit que la veuve devait porter, en dessous de son pagne, un morceau de drap blanc dans lequel on plaçait une pièce de vingt-cinq francs » (p.208). Une énigme pour Lara la Soviétique.

Pour conclure

« L’Ingratitude du caïman », une autre façon de romancer quelques morceaux de l’histoire congolaise. Dans ce récit, rien ne semble inventé, sauf le scriptural qui se caractérise par l’utilisation de quelques congolismes qui n’entachent pas l’acceptabilité du texte. S’y dévoile le sociopolitique congolais à travers une diégèse dont la dimension référentielle se fonde sur des événements réels de l’histoire du pays de l’auteur. Y sont cités quelques acteurs politiques ayant existé ou qui existent encore tels Marien Ngouabi, Yhombi Opango, Bernard Kolélas, Denis Sassou Nguesso….

Noël KODIA (Afrique Education n° 381 du 16 au 31 décembre 2013)

(1) Isaac Djoumali Sengha, « L’Ingratitude du caïman », éd. L’Harmattan, Paris, 2012, 275p. 24€
(Source Afrique Education n° 381 du 16 au 31 décembre 2013)

www.pagesafrik.info le rendez-vous des stars

Viewing all articles
Browse latest Browse all 6356

Trending Articles