Prêtre de l’archidiocèse de Brazzaville ayant étudié en Allemagne, pendant de longues années, l’abbé Dr Jonas Koudissa s’est spécialisé en sciences politiques, domaine dans lequel il a soutenu un troisième cycle, en octobre 1998. En août 2009, il a publié, aux Editions Edilivre, son premier ouvrage intitulé: «Démocratie, Constitution, culture politique au Congo. Lecture critique des Constitutions de 1992 et de 2002» (252 pages). Il s’est, ensuite, orienté dans l’éthique théologique, en étudiant le phénomène des flux migratoires africains vers l’Europe.
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Ses recherches dans ce domaine viennent d’aboutir à la publication d’un second ouvrage intitulé: «Ethique et migration», traitant de la question des réfugiés et des migrants africains vers les pays européens, question qui, selon lui, constitue un véritable défi socio-politique et éthique pour l’Europe. Dans un entretien à la rédaction de La Semaine Africaine, en avril dernier, l’abbé Dr Jonas Koudissa, qui est membre, depuis 2002, de l’«African studies association of Germany» et chercheur associé de l’Université de Tübingen, en Allemagne, a présenté la trame de son livre qui vient de sortir en allemand et dont il recherche des sponsors, pour financer la version française. Entretien!
Docteur Koudissa, votre second ouvrage vient de sortir en Allemagne. De quoi parle cette nouvelle publication?
Je vous remercie pour l’occasion que vous me donnez de présenter mon livre, avant même qu’il ne soit diffusé en français. Ce livre est le fruit d’une étude que j’ai consacrée aux Africains subsahariens, qui tentent, sans relâche, de rejoindre le continent européen, en empruntant des voies parfois légales, parfois illégales. J’ai appelé cela le syndrome méditerranéen, ces gens qui traversent la Méditerranée, par des moyens de bord, dont beaucoup y perdent la vie.
Qu’est-ce que vous voulez faire passer comme message, à travers ce livre?
Le but de l’étude est de parvenir à expliquer les migrations africaines contemporaines. Pourquoi ce phénomène? Bien sûr, les gens sont toujours partis en Europe; ils ont toujours voulu partir. Mais, on pourrait dire que pendant longtemps, ce fut un phénomène plutôt marginal. J’ai montré, par exemple, que dans la typologie des traditions africaines, que j’ai classifiées en dix thèses, la perception de la migration a basculé entre le phénomène que Justin Gandoulou, anthropologue à l’Université de Rennes II, en France, avait bien analysé dans son livre sur les «Parisiens», ces jeunes de Bacongo, un quartier de Brazzaville, qui partaient en Europe, pour amasser les fringues et revenir se faire consacrer comme «sapeur», comme «parisien».
Je montre que cette perception a beaucoup changé, puisque d’ailleurs, l’étude que j’ai menée à Brazzaville, sur un échantillon de 150 personnes, confirme bien que la migration est devenue réellement une perspective économique. Les gens la considèrent comme un investissement pour le futur. Donc, je voulais expliquer cet engouement particulier ou généralisé vers l’Europe. Partant de cette question de l’intérêt des Africains pour l’Europe, l’étude s’est efforcée d’identifier les causes des migrations africaines vers l’Europe. Et on dresse les contours, les caractéristiques, on évalue les conséquences, c’est-à-dire ses coûts et ses effets bénéfiques pour l’Europe comme pour l’Afrique.
Par exemple, dans le discours politique en Europe, souvent on a le sentiment que l’immigration, c’est juste un poids pour les pays européens. Or, l’étude a démontré que même les pays européens ont plus à gagner qu’à perdre, en ce qui concerne l’apport des immigrés dans le domaine économique et que le plus grand perdant, c’est peut-être l’Afrique. Car ce continent perd, à travers les flux migratoires, sa jeunesse. Ceux qui partent, ce sont souvent des jeunes bien formés; tous ceux qui ne peuvent pas ou qui ne veulent pas rentrer en Afrique, alors qu’ils sont bien formés.
Enfin, je voulais aussi arriver à proposer des solutions politiquement viables, mais qui soient en même temps acceptables du point de vue de l’éthique chrétienne et, au-delà, de l’éthique tout court. Parce que nous sommes dans un monde pluraliste. Il ne servira à rien d’avoir la meilleure théologie possible sur les migrations, si c’est seulement pour le discours… Il faut arriver à dialoguer. Je suis parti de l’éthique sociale chrétienne, pour arriver à mettre en place une éthique internationale où les critères internationaux régissant les relations entre Etats, soient acceptables par tout le monde, indépendamment de nos convictions philosophiques, politiques ou religieuses.
Concrètement, qu’est-ce qui fait la spécificité de votre ouvrage, quand on sait qu’il y a une littérature abondante sur le sujet?
Je me suis intéressé d’abord aux conditions de vie des populations dans les pays d’origine des migrants, donc l’Afrique, afin de comprendre les raisons pour lesquelles les gens partent. D’où viennent les gens, pourquoi partent-ils? Je me suis aussi intéressé aux conditions d’entrer, aux conditions d’immigration et d’intégration dans les pays d’accueil. En général, les études qui ont été faites, soit elles analysent les causes et les conditions de départ, soit elles s’intéressent aux conditions des migrants dans les pays hôtes. Moi, j’ai fait une étude sur toute la chaîne. C’est l’originalité de mon étude.
Aujourd’hui, l’humanité fait de plus en plus face à des défis de type global. On ne peut plus se contenter de solutions locales ou nationales. Dans mon travail, je le montre en posant la problématique au début. Je montre que, finalement aujourd’hui, nous vivons un temps particulièrement intéressant qui semble qualitativement nouveau et qui est marqué par deux défis majeurs: le premier défi, c’est le défi de la mondialisation de l’économie; et le deuxième, c’est le défi de la dislocation, c’est-à-dire dans ce monde qui se globalise, les solidarités traditionnelles ne tiennent plus. La vague des programmes d’ajustement structurel produite par le Fonds monétaire international a fragilisé le tissu social avec le désengagement de l’Etat des secteurs sociaux. Beaucoup de gens tombent dans la pauvreté et sont mis au ban de la société.
Finalement, ce grand espoir qu’on avait sur mondialisation, la globalisation qui allait apporter le bonheur à tout le monde, s’est estompé, car on se rend compte que certains en profitent, il est vrai, mais beaucoup d’autres n’arrivent pas à en profiter. Il y a nécessité, aujourd’hui, d’inventer de nouvelles solutions, de nouvelles solidarités. C’est dans ce contexte-là que j’ai placé le livre et que j’explique que vu sous cet angle-là, ce qui se passe en Méditerranée, c’est un signe, un épiphénomène, quelque chose qui nous révèle autre chose. C’est-à-dire qu’on ne doit pas s’arrêter au syndrome de la Méditerranée, mais il faut voir pourquoi les gens sont capables de prendre ce genre de risques, qu’est-ce qui est brisé pour qu’ils en arrivent là? C’est mon hypothèse de travail. Les gens font face à des défis nouveaux qui font qu’ils utilisent la migration comme stratégie de survie, comme stratégie de l’esquive. Pour esquiver la misère, ils partent et le continent qui les attire en masse, c’est l’Europe.
Est-ce que votre étude explique les raisons qui poussent les Africains à émigrer vers l’Europe?
Dans l’étude, des migrants que j’ai interrogés me racontaient qu’ils étaient 32 dans un véhicule pick-up, à partir dans le désert. Après, il fallait continuer à pied. Beaucoup de gens sont restés en chemin et sont morts d’épuisement, de soif, de fatigue ou de maladie. Quand quelqu’un tombait, on ne s’arrêter pas, on continuait la route, puisqu’il y a un guide qui vous conduit, un Touareg. Lui, il marche vite, il faut donc le suivre. Finalement, quand ils sont arrivés à Malte, ils n’étaient plus que 9.
Je leur ai demandé pourquoi ils partent, sachant que les gens meurent en chemin? Ils m’ont dit: «Si je reste en Afrique, la mort est certaine. Si je parts, peut-être que Dieu va me préserver et j’ai ma chance, alors j’arriverai. Ma femme était enceinte, elle est morte dans le bateau; un ami est mort de paludisme. Le froid, la pluie, le soleil, c’est très dur pendant la traversée du désert, de la mer…», m’ont-ils dit.
Ce qui m’a choqué à l’Île de Malte, c’est de voir cette foule de jeunes, une force de travail qui va manquer à l’Afrique. Ça, c’est un aspect des causes, ce qu’on appelle, dans la théorie, les «push factors». Il y a aussi les «pull factors», les facteurs qui attirent.
Dans les «push factors», c’est-à-dire les causes qui poussent les gens à partir, il y a la misère. Mais, cette misère-là, et je le montre très bien, est aussi due à la politique que les Européens mènent à l’égard de l’Afrique. Il y a des exemples très simples, très clairs, d’ailleurs que tout le monde connaît: il existe des accords de pêche entre l’Europe et l’Afrique. Les sociétés européennes achètent des droits de pêche sur les côtes africaines. Ils payent des droits pour cela. Sauf que ce qu’ils payent n’est pas, premièrement, en corrélation avec ce qu’ils gagnent. Donc, les Africains enregistrent un manque à gagner. Deuxièmement, quand ils arrivent avec leurs bateaux sophistiqués, ils prennent tout et les pêcheurs locaux, qui utilisent des moyens traditionnels, n’ont rien. Conséquence, les Africains sont au chômage et ne peuvent plus nourrir leurs enfants. Donc, les pêcheurs africains d’aujourd’hui et ceux de demain sont disqualifiés. Alors, ils prennent leurs bateaux de fortune et se mettent dans le trafic des migrants. Voilà une causalité qui est bien connue des dirigeants africains et européens.
Un autre exemple: les subventions agricoles en Europe. L’Union européenne sait qu’en subventionnant son agriculture, elle disqualifie la production africaine. Prenons le cas du coton. L’Europe sait qu’elle achèterait le coton trois fois moins cher en Afrique, qu’en le subventionnant en Espagne ou en Grèce. L’Afrique avait porté plainte et a déjà gagné le procès. Malgré tout, il y a quelques années, les subventions ont repris en Europe. Et les exemples, il y en a beaucoup. On sait que certains produits subventionnés en Europe sont déversés sur les marchés africains, concurrençant ainsi les productions locales qui ne sont pas subventionnées. Il y a des études au Cameroun qui ont démontré que le poulet européen coûte moins cher au Cameroun qu’en prix de gros en Allemagne. L’œuf hollandais coûte moins cher à Brazzaville que l’œuf produit à Madibou, un quartier de la banlieue brazzavilloise. Comment voulez-vous que le paysan congolais tienne une telle concurrence face aux Européens qui inondent son marché local? Il y a beaucoup d’exemples du genre où l’Europe montre son incohérence et se trouve être co-responsables des causes qui poussent les Africains à quitter leurs pays.
Dans les «pull factors», c’est-à-dire les raisons qui attirent les Africains vers l’Europe, on parle des conditions de vie, des conditions économiques, les salaires élevés. C’est le schéma classique. Il faut que les gens changent d’idées. Aujourd’hui, il y a des études qui montrent que ce n’est même plus ce schéma classique qui est à la base de la migration. C’est le capitalisme lui-même qui est à l’origine de la migration. C’est le centre de l’économie dans les pays développés qui profitent de cette migration. Car, c’est le centre qui investit dans la périphérie et qui tirent des gains importants. Plus il y a la main d’œuvre bon marché, mieux ça vaut pour eux.
Voilà en gros la trame de mon livre qui est d’abord sorti en allemand. Je suis en train de chercher des sponsors, pour financer la traduction et l’édition de la version française.
Propos recueillis par
Joachim MBANZA et Aristide Ghislain NGOUMA
Docteur Koudissa, votre second ouvrage vient de sortir en Allemagne. De quoi parle cette nouvelle publication?
Je vous remercie pour l’occasion que vous me donnez de présenter mon livre, avant même qu’il ne soit diffusé en français. Ce livre est le fruit d’une étude que j’ai consacrée aux Africains subsahariens, qui tentent, sans relâche, de rejoindre le continent européen, en empruntant des voies parfois légales, parfois illégales. J’ai appelé cela le syndrome méditerranéen, ces gens qui traversent la Méditerranée, par des moyens de bord, dont beaucoup y perdent la vie.
Qu’est-ce que vous voulez faire passer comme message, à travers ce livre?
Le but de l’étude est de parvenir à expliquer les migrations africaines contemporaines. Pourquoi ce phénomène? Bien sûr, les gens sont toujours partis en Europe; ils ont toujours voulu partir. Mais, on pourrait dire que pendant longtemps, ce fut un phénomène plutôt marginal. J’ai montré, par exemple, que dans la typologie des traditions africaines, que j’ai classifiées en dix thèses, la perception de la migration a basculé entre le phénomène que Justin Gandoulou, anthropologue à l’Université de Rennes II, en France, avait bien analysé dans son livre sur les «Parisiens», ces jeunes de Bacongo, un quartier de Brazzaville, qui partaient en Europe, pour amasser les fringues et revenir se faire consacrer comme «sapeur», comme «parisien».
Je montre que cette perception a beaucoup changé, puisque d’ailleurs, l’étude que j’ai menée à Brazzaville, sur un échantillon de 150 personnes, confirme bien que la migration est devenue réellement une perspective économique. Les gens la considèrent comme un investissement pour le futur. Donc, je voulais expliquer cet engouement particulier ou généralisé vers l’Europe. Partant de cette question de l’intérêt des Africains pour l’Europe, l’étude s’est efforcée d’identifier les causes des migrations africaines vers l’Europe. Et on dresse les contours, les caractéristiques, on évalue les conséquences, c’est-à-dire ses coûts et ses effets bénéfiques pour l’Europe comme pour l’Afrique.
Par exemple, dans le discours politique en Europe, souvent on a le sentiment que l’immigration, c’est juste un poids pour les pays européens. Or, l’étude a démontré que même les pays européens ont plus à gagner qu’à perdre, en ce qui concerne l’apport des immigrés dans le domaine économique et que le plus grand perdant, c’est peut-être l’Afrique. Car ce continent perd, à travers les flux migratoires, sa jeunesse. Ceux qui partent, ce sont souvent des jeunes bien formés; tous ceux qui ne peuvent pas ou qui ne veulent pas rentrer en Afrique, alors qu’ils sont bien formés.
Enfin, je voulais aussi arriver à proposer des solutions politiquement viables, mais qui soient en même temps acceptables du point de vue de l’éthique chrétienne et, au-delà, de l’éthique tout court. Parce que nous sommes dans un monde pluraliste. Il ne servira à rien d’avoir la meilleure théologie possible sur les migrations, si c’est seulement pour le discours… Il faut arriver à dialoguer. Je suis parti de l’éthique sociale chrétienne, pour arriver à mettre en place une éthique internationale où les critères internationaux régissant les relations entre Etats, soient acceptables par tout le monde, indépendamment de nos convictions philosophiques, politiques ou religieuses.
Concrètement, qu’est-ce qui fait la spécificité de votre ouvrage, quand on sait qu’il y a une littérature abondante sur le sujet?
Je me suis intéressé d’abord aux conditions de vie des populations dans les pays d’origine des migrants, donc l’Afrique, afin de comprendre les raisons pour lesquelles les gens partent. D’où viennent les gens, pourquoi partent-ils? Je me suis aussi intéressé aux conditions d’entrer, aux conditions d’immigration et d’intégration dans les pays d’accueil. En général, les études qui ont été faites, soit elles analysent les causes et les conditions de départ, soit elles s’intéressent aux conditions des migrants dans les pays hôtes. Moi, j’ai fait une étude sur toute la chaîne. C’est l’originalité de mon étude.
Aujourd’hui, l’humanité fait de plus en plus face à des défis de type global. On ne peut plus se contenter de solutions locales ou nationales. Dans mon travail, je le montre en posant la problématique au début. Je montre que, finalement aujourd’hui, nous vivons un temps particulièrement intéressant qui semble qualitativement nouveau et qui est marqué par deux défis majeurs: le premier défi, c’est le défi de la mondialisation de l’économie; et le deuxième, c’est le défi de la dislocation, c’est-à-dire dans ce monde qui se globalise, les solidarités traditionnelles ne tiennent plus. La vague des programmes d’ajustement structurel produite par le Fonds monétaire international a fragilisé le tissu social avec le désengagement de l’Etat des secteurs sociaux. Beaucoup de gens tombent dans la pauvreté et sont mis au ban de la société.
Finalement, ce grand espoir qu’on avait sur mondialisation, la globalisation qui allait apporter le bonheur à tout le monde, s’est estompé, car on se rend compte que certains en profitent, il est vrai, mais beaucoup d’autres n’arrivent pas à en profiter. Il y a nécessité, aujourd’hui, d’inventer de nouvelles solutions, de nouvelles solidarités. C’est dans ce contexte-là que j’ai placé le livre et que j’explique que vu sous cet angle-là, ce qui se passe en Méditerranée, c’est un signe, un épiphénomène, quelque chose qui nous révèle autre chose. C’est-à-dire qu’on ne doit pas s’arrêter au syndrome de la Méditerranée, mais il faut voir pourquoi les gens sont capables de prendre ce genre de risques, qu’est-ce qui est brisé pour qu’ils en arrivent là? C’est mon hypothèse de travail. Les gens font face à des défis nouveaux qui font qu’ils utilisent la migration comme stratégie de survie, comme stratégie de l’esquive. Pour esquiver la misère, ils partent et le continent qui les attire en masse, c’est l’Europe.
Est-ce que votre étude explique les raisons qui poussent les Africains à émigrer vers l’Europe?
Dans l’étude, des migrants que j’ai interrogés me racontaient qu’ils étaient 32 dans un véhicule pick-up, à partir dans le désert. Après, il fallait continuer à pied. Beaucoup de gens sont restés en chemin et sont morts d’épuisement, de soif, de fatigue ou de maladie. Quand quelqu’un tombait, on ne s’arrêter pas, on continuait la route, puisqu’il y a un guide qui vous conduit, un Touareg. Lui, il marche vite, il faut donc le suivre. Finalement, quand ils sont arrivés à Malte, ils n’étaient plus que 9.
Je leur ai demandé pourquoi ils partent, sachant que les gens meurent en chemin? Ils m’ont dit: «Si je reste en Afrique, la mort est certaine. Si je parts, peut-être que Dieu va me préserver et j’ai ma chance, alors j’arriverai. Ma femme était enceinte, elle est morte dans le bateau; un ami est mort de paludisme. Le froid, la pluie, le soleil, c’est très dur pendant la traversée du désert, de la mer…», m’ont-ils dit.
Ce qui m’a choqué à l’Île de Malte, c’est de voir cette foule de jeunes, une force de travail qui va manquer à l’Afrique. Ça, c’est un aspect des causes, ce qu’on appelle, dans la théorie, les «push factors». Il y a aussi les «pull factors», les facteurs qui attirent.
Dans les «push factors», c’est-à-dire les causes qui poussent les gens à partir, il y a la misère. Mais, cette misère-là, et je le montre très bien, est aussi due à la politique que les Européens mènent à l’égard de l’Afrique. Il y a des exemples très simples, très clairs, d’ailleurs que tout le monde connaît: il existe des accords de pêche entre l’Europe et l’Afrique. Les sociétés européennes achètent des droits de pêche sur les côtes africaines. Ils payent des droits pour cela. Sauf que ce qu’ils payent n’est pas, premièrement, en corrélation avec ce qu’ils gagnent. Donc, les Africains enregistrent un manque à gagner. Deuxièmement, quand ils arrivent avec leurs bateaux sophistiqués, ils prennent tout et les pêcheurs locaux, qui utilisent des moyens traditionnels, n’ont rien. Conséquence, les Africains sont au chômage et ne peuvent plus nourrir leurs enfants. Donc, les pêcheurs africains d’aujourd’hui et ceux de demain sont disqualifiés. Alors, ils prennent leurs bateaux de fortune et se mettent dans le trafic des migrants. Voilà une causalité qui est bien connue des dirigeants africains et européens.
Un autre exemple: les subventions agricoles en Europe. L’Union européenne sait qu’en subventionnant son agriculture, elle disqualifie la production africaine. Prenons le cas du coton. L’Europe sait qu’elle achèterait le coton trois fois moins cher en Afrique, qu’en le subventionnant en Espagne ou en Grèce. L’Afrique avait porté plainte et a déjà gagné le procès. Malgré tout, il y a quelques années, les subventions ont repris en Europe. Et les exemples, il y en a beaucoup. On sait que certains produits subventionnés en Europe sont déversés sur les marchés africains, concurrençant ainsi les productions locales qui ne sont pas subventionnées. Il y a des études au Cameroun qui ont démontré que le poulet européen coûte moins cher au Cameroun qu’en prix de gros en Allemagne. L’œuf hollandais coûte moins cher à Brazzaville que l’œuf produit à Madibou, un quartier de la banlieue brazzavilloise. Comment voulez-vous que le paysan congolais tienne une telle concurrence face aux Européens qui inondent son marché local? Il y a beaucoup d’exemples du genre où l’Europe montre son incohérence et se trouve être co-responsables des causes qui poussent les Africains à quitter leurs pays.
Dans les «pull factors», c’est-à-dire les raisons qui attirent les Africains vers l’Europe, on parle des conditions de vie, des conditions économiques, les salaires élevés. C’est le schéma classique. Il faut que les gens changent d’idées. Aujourd’hui, il y a des études qui montrent que ce n’est même plus ce schéma classique qui est à la base de la migration. C’est le capitalisme lui-même qui est à l’origine de la migration. C’est le centre de l’économie dans les pays développés qui profitent de cette migration. Car, c’est le centre qui investit dans la périphérie et qui tirent des gains importants. Plus il y a la main d’œuvre bon marché, mieux ça vaut pour eux.
Voilà en gros la trame de mon livre qui est d’abord sorti en allemand. Je suis en train de chercher des sponsors, pour financer la traduction et l’édition de la version française.
Propos recueillis par
Joachim MBANZA et Aristide Ghislain NGOUMA
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