Malgré une enquête qui classe le Congo-Brazzaville 183e sur 185 des pays où il est le plus difficile de faire des affaires, des entrepreneurs congolais essaient de faire avancer les choses.

Au Congo-Brazza, certains rapports économiques se suivent et se ressemblent. C’est le cas de l’enquête Doing Business, publiée chaque année par la Banque mondiale, qui, grâce à une dizaine d’indicateurs, mesure le climat des affaires dans les différents pays du monde.
Dans l’édition 2013, le Congo figure à une triste 183e place sur 185 pays, alors qu'il était 177e en 2011 et 181e en 2012.
Malgré une croissance de 4,9%, en 2012 (prévision du Fonds monétaire international), le Congo n’arrive donc pas à décoller dans ce classement, où il se rapproche de pays comme la République centrafricaine ou le Tchad aux potentiels bien différents et dont les richesses ramenées à la taille de la population sont moindres.
Grâce à ses ressources pétrolières, le Congo affiche, en effet, un revenu par habitant de 1.163.000 francs CFA (1773 euros) par an contre 353.000 francs CFA (538 euros) pour le Tchad et 241.000 francs CFA pour la RCA (367 euros).
Le rapport de la Banque mondiale identifie clairement deux points faibles dans ce pays de quatre millions d’habitants: d’une part, le niveau des taxes et du fardeau administratif qu’elles représentent et d’autre part, les difficultés pour importer ou exporter des biens au Congo, tant les tarifs douaniers sont élevés et les formalités complexes.
De nombreux obstacles
Rodrigue est un jeune entrepreneur congolais, qui après avoir vécu en France pendant plusieurs années, a fait le choix de revenir au pays pour monter son entreprise de bâtiment et de décoration intérieure. Il confirme qu’il lui a fallu s’armer de patience pour réussir à faire venir les matériaux nécessaires au lancement de son entreprise:
«J’ai commencé à travailler à Brazzaville, il y a un an et demi. Et je ne démarre véritablement mon activité que maintenant. J’ai eu besoin de tout ce temps pour maîtriser les procédures et dédouaner mes conteneurs de marbre et de pierres qui me permettent d’ouvrir. Il y a un grand nombre de formalités à remplir, il faut passer par différentes chambres et antichambres. Même pour un Congolais, comme moi, cela a été difficile de comprendre les rouages qui permettent de faire avancer le dossier. Il ne s’agît pas du tout de corruption pure et dure comme on l’imagine, c’est plus compliqué que cela. C’est un système personnalisé de services. A chaque étape il faut identifier la bonne personne, avoir son numéro de portable, la connaître et savoir à quel moment il faut donner quelques CFA, des petites sommes, pour que les formalités avancent.»
Pas question de baisser les bras pour autant:
«J’incite à 150% les entrepreneurs à venir développer des projets au Congo. A l’aune de la crise en Europe, on voit d’ailleurs de nombreux Congolais de la diaspora qui rentrent pour créer des entreprises dans les secteurs en développement comme la logistique ou le bâtiment», explique Rodrigue.
Pour Paul Kampakol, secrétaire général du Forum des jeunes entreprises du Congo (FJEC), le rapport Doing Business «exprime une réalité qu’on ne peut nier».
Le Forum des jeunes entreprises est une ONG qui accompagne les initiatives et la création de petites entreprises grâce à un appui administratif et un système de micro-financement. Selon Paul Kampakol, la question de l’accès au crédit est centrale:
«Au sein du Forum des jeunes entreprises, nous constatons chaque jour à quel point le système de financement des entreprises au Congo est bloqué. Nous avons récemment suivi un projet dynamique de construction de bateaux en lien avec la Banque mondiale. Il manquait 30 millions de francs CFA pour que ce projet puisse se lancer. Aucune banque ne s’est engagée à accorder ce crédit ou alors la quantité de papier et titres fonciers demandée était telle qu’elle rendait impossible l’accès à un prêt. (…) Un certain nombre de voyants sont en train de passer au vert toutefois. Des réformes structurelles sont en cours pour faciliter la création d’entreprise, ou simplifier le dédouanement au port de Pointe-Noire. Mais il faut poursuivre les efforts, notamment dans le domaine de la fiscalité et de la sécurisation juridique des investissements. De nombreuses PME que nous accompagnons ne savent pas précisément quand payer leurs impôts, où et à qui. Cette situation ne pousse pas les activités informelles à se régulariser, et certaines PME qui font les choses dans les règles en vont même parfois à se demander si elles n’auraient pas dû rester dans l’informel».
Le bel exemple de Vérone Mankou
Ces obstacles n’ont pas empêché Vérone Mankou de se lancer dans un projet ambitieux: la conception de terminaux mobiles africains (tablettes tactiles et smartphones). A seulement 26 ans, Vérone, qui n’hésite pas à se référer à Steve Jobs, est aujourd’hui à la tête de VMK, une entreprise florissante qui emploie 16 personnes. Le concept: mettre la technologie à disposition des Africains à des prix abordables.
Après le succès de Way-C, la première tablette tactile africaine, il va commercialiser dans quelques jours le smartphone Elikia, dont les commandes ont déjà dépassé ses espérances. Fondamentalement «congo-optimiste», il n’hésite pas à évoquer certaines difficultés toutefois:
«Au départ, j’ai rencontré des problèmes de financement. C’est récurrent au Congo et en Afrique. Nous nous sommes battus et nous avons eu la chance finalement d’avoir un financement de l’Etat, ce qui est extrêmement rare dans le pays. En ce moment, je réfléchis d’ailleurs à créer un petit fonds d’investissement pour soutenir les initiatives des jeunes. Il y a également un problème de ressources humaines, il est difficile de trouver des personnes qualifiées sur place. Dans mon domaine, je peux prendre l’exemple des développeurs informatiques capables de créer des applications ou des logiciels. Il n’existe pas d’écoles de ce type au Congo et sans doute même pas en Afrique. Je recherche donc des gens qui ont appris tout seuls. Ils viennent parfois de l’étranger, du Sénégal, de RDC…».
«Développer l’esprit d’initiative dans notre pays»
Pour Vérone, c’est aussi une question de mentalité:
«Il faut développer l’esprit d’initiative dans notre pays. Je viens de Pointe-Noire la capitale économique du pays où de nombreux jeunes travaillent dans le privé. Quand je suis arrivé à Brazzaville, la capitale administrative, j’ai vu que tout le monde rêvait ici de travailler dans le public, dans les services de l’Etat. Le nom de mon entreprise VMK vient du mot "voumbouka" en kikongo qui signifie "réveillez-vous". Je veux, par mon exemple, inciter les jeunes à prendre des initiatives et à se lancer des défis un peu fous».
Paul Kampakol, à la tête du Forum des jeunes entreprises, appelle, lui aussi, à une «mutation culturelle» au Congo qui a été marquée par sa période marxiste, entre 1969 et 1992:
«Du fait de notre histoire, pendant longtemps la réussite sociale consistait à devenir fonctionnaire, quels que soient le poste et le niveau de qualification au sein de l’administration. Je crois que, aujourd’hui, on évolue, et ce d’autant plus qu’il n’y a plus de postes dans la fonction publique et que même ceux qui espéraient y être embauchés n’y arrivent plus. Dans les années à venir, il y a beaucoup à attendre de la société civile. C’est d’elle que viendra le changement dans le pays».
A condition sans doute de ne plus appliquer les vieilles recettes.
Adrien de Calan
Dans l’édition 2013, le Congo figure à une triste 183e place sur 185 pays, alors qu'il était 177e en 2011 et 181e en 2012.
Malgré une croissance de 4,9%, en 2012 (prévision du Fonds monétaire international), le Congo n’arrive donc pas à décoller dans ce classement, où il se rapproche de pays comme la République centrafricaine ou le Tchad aux potentiels bien différents et dont les richesses ramenées à la taille de la population sont moindres.
Grâce à ses ressources pétrolières, le Congo affiche, en effet, un revenu par habitant de 1.163.000 francs CFA (1773 euros) par an contre 353.000 francs CFA (538 euros) pour le Tchad et 241.000 francs CFA pour la RCA (367 euros).
Le rapport de la Banque mondiale identifie clairement deux points faibles dans ce pays de quatre millions d’habitants: d’une part, le niveau des taxes et du fardeau administratif qu’elles représentent et d’autre part, les difficultés pour importer ou exporter des biens au Congo, tant les tarifs douaniers sont élevés et les formalités complexes.
De nombreux obstacles
Rodrigue est un jeune entrepreneur congolais, qui après avoir vécu en France pendant plusieurs années, a fait le choix de revenir au pays pour monter son entreprise de bâtiment et de décoration intérieure. Il confirme qu’il lui a fallu s’armer de patience pour réussir à faire venir les matériaux nécessaires au lancement de son entreprise:
«J’ai commencé à travailler à Brazzaville, il y a un an et demi. Et je ne démarre véritablement mon activité que maintenant. J’ai eu besoin de tout ce temps pour maîtriser les procédures et dédouaner mes conteneurs de marbre et de pierres qui me permettent d’ouvrir. Il y a un grand nombre de formalités à remplir, il faut passer par différentes chambres et antichambres. Même pour un Congolais, comme moi, cela a été difficile de comprendre les rouages qui permettent de faire avancer le dossier. Il ne s’agît pas du tout de corruption pure et dure comme on l’imagine, c’est plus compliqué que cela. C’est un système personnalisé de services. A chaque étape il faut identifier la bonne personne, avoir son numéro de portable, la connaître et savoir à quel moment il faut donner quelques CFA, des petites sommes, pour que les formalités avancent.»
Pas question de baisser les bras pour autant:
«J’incite à 150% les entrepreneurs à venir développer des projets au Congo. A l’aune de la crise en Europe, on voit d’ailleurs de nombreux Congolais de la diaspora qui rentrent pour créer des entreprises dans les secteurs en développement comme la logistique ou le bâtiment», explique Rodrigue.
Pour Paul Kampakol, secrétaire général du Forum des jeunes entreprises du Congo (FJEC), le rapport Doing Business «exprime une réalité qu’on ne peut nier».
Le Forum des jeunes entreprises est une ONG qui accompagne les initiatives et la création de petites entreprises grâce à un appui administratif et un système de micro-financement. Selon Paul Kampakol, la question de l’accès au crédit est centrale:
«Au sein du Forum des jeunes entreprises, nous constatons chaque jour à quel point le système de financement des entreprises au Congo est bloqué. Nous avons récemment suivi un projet dynamique de construction de bateaux en lien avec la Banque mondiale. Il manquait 30 millions de francs CFA pour que ce projet puisse se lancer. Aucune banque ne s’est engagée à accorder ce crédit ou alors la quantité de papier et titres fonciers demandée était telle qu’elle rendait impossible l’accès à un prêt. (…) Un certain nombre de voyants sont en train de passer au vert toutefois. Des réformes structurelles sont en cours pour faciliter la création d’entreprise, ou simplifier le dédouanement au port de Pointe-Noire. Mais il faut poursuivre les efforts, notamment dans le domaine de la fiscalité et de la sécurisation juridique des investissements. De nombreuses PME que nous accompagnons ne savent pas précisément quand payer leurs impôts, où et à qui. Cette situation ne pousse pas les activités informelles à se régulariser, et certaines PME qui font les choses dans les règles en vont même parfois à se demander si elles n’auraient pas dû rester dans l’informel».
Le bel exemple de Vérone Mankou
Ces obstacles n’ont pas empêché Vérone Mankou de se lancer dans un projet ambitieux: la conception de terminaux mobiles africains (tablettes tactiles et smartphones). A seulement 26 ans, Vérone, qui n’hésite pas à se référer à Steve Jobs, est aujourd’hui à la tête de VMK, une entreprise florissante qui emploie 16 personnes. Le concept: mettre la technologie à disposition des Africains à des prix abordables.
Après le succès de Way-C, la première tablette tactile africaine, il va commercialiser dans quelques jours le smartphone Elikia, dont les commandes ont déjà dépassé ses espérances. Fondamentalement «congo-optimiste», il n’hésite pas à évoquer certaines difficultés toutefois:
«Au départ, j’ai rencontré des problèmes de financement. C’est récurrent au Congo et en Afrique. Nous nous sommes battus et nous avons eu la chance finalement d’avoir un financement de l’Etat, ce qui est extrêmement rare dans le pays. En ce moment, je réfléchis d’ailleurs à créer un petit fonds d’investissement pour soutenir les initiatives des jeunes. Il y a également un problème de ressources humaines, il est difficile de trouver des personnes qualifiées sur place. Dans mon domaine, je peux prendre l’exemple des développeurs informatiques capables de créer des applications ou des logiciels. Il n’existe pas d’écoles de ce type au Congo et sans doute même pas en Afrique. Je recherche donc des gens qui ont appris tout seuls. Ils viennent parfois de l’étranger, du Sénégal, de RDC…».
«Développer l’esprit d’initiative dans notre pays»
Pour Vérone, c’est aussi une question de mentalité:
«Il faut développer l’esprit d’initiative dans notre pays. Je viens de Pointe-Noire la capitale économique du pays où de nombreux jeunes travaillent dans le privé. Quand je suis arrivé à Brazzaville, la capitale administrative, j’ai vu que tout le monde rêvait ici de travailler dans le public, dans les services de l’Etat. Le nom de mon entreprise VMK vient du mot "voumbouka" en kikongo qui signifie "réveillez-vous". Je veux, par mon exemple, inciter les jeunes à prendre des initiatives et à se lancer des défis un peu fous».
Paul Kampakol, à la tête du Forum des jeunes entreprises, appelle, lui aussi, à une «mutation culturelle» au Congo qui a été marquée par sa période marxiste, entre 1969 et 1992:
«Du fait de notre histoire, pendant longtemps la réussite sociale consistait à devenir fonctionnaire, quels que soient le poste et le niveau de qualification au sein de l’administration. Je crois que, aujourd’hui, on évolue, et ce d’autant plus qu’il n’y a plus de postes dans la fonction publique et que même ceux qui espéraient y être embauchés n’y arrivent plus. Dans les années à venir, il y a beaucoup à attendre de la société civile. C’est d’elle que viendra le changement dans le pays».
A condition sans doute de ne plus appliquer les vieilles recettes.
Adrien de Calan
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