Au bord du fleuve Congo, des hommes, des femmes et même des enfants travaillent à mains nues dans les mines. Victor Guillon traverse ces carrières le micro ouvert, et croise des témoignages forts pour Arte Radio.

On les appelle les caillouteuses. Ces femmes subviennent au besoins de leur famille dans les mines de pierre du sud de Brazzaville. Des enfants de dix ans viennent aussi fouiller le sol à coup de marteaux ou de barres de fer. Certains sont poussés à travailler dès leur plus jeune âge, car leur famille ne peut leur offrir l'école, payante au Congo. Sous un soleil de plomb, ils s'affairent aux côtés de leurs parents pour glaner un salaire supplémentaire.
Avec le photographe et cinéaste Hadrien Courtier, Victor Guillon les a rencontrés in situ pour Arte radio. Ensemble, ils signent avec Les Mains nues un reportage sonore saisissant, qui pointe une autre facette d'un pays dont les richesses – majoritairement exploitées par des entreprises étrangères – ne profitent guère aux habitants. Pas de misérabilisme, ni d'enquête fouillée (ce qu'on peut regretter) : le producteur a délibérément choisi de livrer l'ambiance à l'état brut, comme si les auditeurs traversaient eux-mêmes cette mine à ciel ouvert. Entretien avec Victor Guillon.
Pouvez-vous décrire visuellement le site de Kombé Carrière, où vous avez effectué vos prises de son ?
Étendues au bord du fleuve Congo sur environ deux kilomètres, les vastes carrières de Kombé offrent des perspectives à la fois infernales et terriblement belles. Entre le soleil impassible, le balai des camions, la poussière d'or, les rires, les cris, la roche jaune et les centaines d’être humains qui la travaillent en petit groupes, on peut tomber sur une grande femme sublime, en jupe bleue, qui transporte des bidons de graviers en boîtant sur un pied complètement tordu, sans doute écrasé par une pierre… C'est irréel. La vigueur des corps et la franchise animale des regards impressionnent souvent. On aperçoit le Congo Kinshasa, au loin, de l'autre côté de la rive.
Qu’est-ce qui a orienté votre choix vers ce sujet ?
Généralement inspiré par des thématiques d'ordre spirituel (les rituels de guérison, l'animisme, la connexion au sacré…), j'avais envie pour ce travail d'aller chercher l'esprit là où la matière est la plus pesante, pour les hommes qui ouvrent la pierre à la force de leurs bras, des heures durant. Et je n'ai pas été déçu…
“Un peu de chanvre partagé, des cadeaux, et surtout du temps, des échanges prolongés, de l'amour…”
Comment avez-vous travaillé sur le terrain, humainement et techniquement ?
J'ai réalisé ce reportage entre juin et juillet 2014. Ces 13 minutes de témoignages condensent trois semaines passées dans les carrières avec un enregistreur protégé de la poussière, des micros et des câbles un peu encombrants, un bon contact pour nous accompagner les premiers jours, un peu de chanvre partagé, des cadeaux, et surtout du temps, des échanges prolongés, de l'amour… Enfin, j'étais accompagné d'un photographe, Hadrien Courtier, qui s'était rendu sur place en 2011 et connaissait bien le terrain.
Ne vous a-t-on pas empêché d’approcher les casseurs ou les enfants soumis à ce labeur ?
Bien sûr, il n'est jamais totalement évident de sortir un micro dans ces conditions. Mais le contact est généralement facile car l'ambiance est, paradoxalement, assez libre et détendue. Sans doute parce que, quand on doit déplacer des pierres dix à douze heures par jour, on a moins envie de s'encombrer de complications supplémentaires… C'est la simple humanité qui permet de tenir le coup.
Quel âge avaient les plus jeunes d’entres eux ?
Les mères viennent parfois travailler avec leurs enfants. À partir de cinq ou six ans, certains peuvent déjà commencer à aider : ils cassent les graviers, souvent avec leurs frères et sœurs.
Vous ne tombez jamais dans le misérabilisme malgré la présence de ces enfants déscolarisés sur le site.
Parce que la dignité de ces hommes et leur sourires nous saisissent plus encore que leur misère.
“Nous avons voulu transmettre des émotions.”
Avez-vous été tiraillé entre le désir de faire du son pur (field recording) ou un reportage documenté ?
Plus que de transmettre des informations, nous avons voulu transmettre des émotions.
Qu’est-ce qui vous a le plus touché dans les carrières de pierre ?
On ne cesse d'être sidéré, à Kombé. Mais ce sont les paroles de Jared, le dernier personnage du reportage, qui m'ont vraiment coupé le souffle. Une fois la nuit tombée et les carrières désertées, rester sur place et écouter cet homme qui a passé sa vie avec les pierres nous parler de leurs cellules, de leur rythme, de leur vie… cela fait frissonner et impose le respect. Le reportage ne retransmet que quelques instants de cette soirée passée avec Jared, mais l'essentiel est traduit par la douceur de sa voix.
Carole Lefrancois
Avec le photographe et cinéaste Hadrien Courtier, Victor Guillon les a rencontrés in situ pour Arte radio. Ensemble, ils signent avec Les Mains nues un reportage sonore saisissant, qui pointe une autre facette d'un pays dont les richesses – majoritairement exploitées par des entreprises étrangères – ne profitent guère aux habitants. Pas de misérabilisme, ni d'enquête fouillée (ce qu'on peut regretter) : le producteur a délibérément choisi de livrer l'ambiance à l'état brut, comme si les auditeurs traversaient eux-mêmes cette mine à ciel ouvert. Entretien avec Victor Guillon.
Pouvez-vous décrire visuellement le site de Kombé Carrière, où vous avez effectué vos prises de son ?
Étendues au bord du fleuve Congo sur environ deux kilomètres, les vastes carrières de Kombé offrent des perspectives à la fois infernales et terriblement belles. Entre le soleil impassible, le balai des camions, la poussière d'or, les rires, les cris, la roche jaune et les centaines d’être humains qui la travaillent en petit groupes, on peut tomber sur une grande femme sublime, en jupe bleue, qui transporte des bidons de graviers en boîtant sur un pied complètement tordu, sans doute écrasé par une pierre… C'est irréel. La vigueur des corps et la franchise animale des regards impressionnent souvent. On aperçoit le Congo Kinshasa, au loin, de l'autre côté de la rive.
Qu’est-ce qui a orienté votre choix vers ce sujet ?
Généralement inspiré par des thématiques d'ordre spirituel (les rituels de guérison, l'animisme, la connexion au sacré…), j'avais envie pour ce travail d'aller chercher l'esprit là où la matière est la plus pesante, pour les hommes qui ouvrent la pierre à la force de leurs bras, des heures durant. Et je n'ai pas été déçu…
“Un peu de chanvre partagé, des cadeaux, et surtout du temps, des échanges prolongés, de l'amour…”
Comment avez-vous travaillé sur le terrain, humainement et techniquement ?
J'ai réalisé ce reportage entre juin et juillet 2014. Ces 13 minutes de témoignages condensent trois semaines passées dans les carrières avec un enregistreur protégé de la poussière, des micros et des câbles un peu encombrants, un bon contact pour nous accompagner les premiers jours, un peu de chanvre partagé, des cadeaux, et surtout du temps, des échanges prolongés, de l'amour… Enfin, j'étais accompagné d'un photographe, Hadrien Courtier, qui s'était rendu sur place en 2011 et connaissait bien le terrain.
Ne vous a-t-on pas empêché d’approcher les casseurs ou les enfants soumis à ce labeur ?
Bien sûr, il n'est jamais totalement évident de sortir un micro dans ces conditions. Mais le contact est généralement facile car l'ambiance est, paradoxalement, assez libre et détendue. Sans doute parce que, quand on doit déplacer des pierres dix à douze heures par jour, on a moins envie de s'encombrer de complications supplémentaires… C'est la simple humanité qui permet de tenir le coup.
Quel âge avaient les plus jeunes d’entres eux ?
Les mères viennent parfois travailler avec leurs enfants. À partir de cinq ou six ans, certains peuvent déjà commencer à aider : ils cassent les graviers, souvent avec leurs frères et sœurs.
Vous ne tombez jamais dans le misérabilisme malgré la présence de ces enfants déscolarisés sur le site.
Parce que la dignité de ces hommes et leur sourires nous saisissent plus encore que leur misère.
“Nous avons voulu transmettre des émotions.”
Avez-vous été tiraillé entre le désir de faire du son pur (field recording) ou un reportage documenté ?
Plus que de transmettre des informations, nous avons voulu transmettre des émotions.
Qu’est-ce qui vous a le plus touché dans les carrières de pierre ?
On ne cesse d'être sidéré, à Kombé. Mais ce sont les paroles de Jared, le dernier personnage du reportage, qui m'ont vraiment coupé le souffle. Une fois la nuit tombée et les carrières désertées, rester sur place et écouter cet homme qui a passé sa vie avec les pierres nous parler de leurs cellules, de leur rythme, de leur vie… cela fait frissonner et impose le respect. Le reportage ne retransmet que quelques instants de cette soirée passée avec Jared, mais l'essentiel est traduit par la douceur de sa voix.
Carole Lefrancois
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