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Culture : Gotène, peintre congolais ou le foisonnement de vie

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Culture : Gotène, peintre congolais ou le foisonnement de vie
L’univers de Gotène n’est pas un univers de la quotidienneté. Il tourne le dos au vraisemblable; univers fantastique, il fuit la logique du commun, pour laisser libre cours à la fantaisie. La vie s’y développe à foison, pour se fixer en des formes étranges et inattendues. Une telle vision du monde a, naturellement, des déterminations sur les procédés et les techniques d’un art où souffle un extraordinaire vent de liberté.

Gotène, c’est d’abord un immense talent logé dans un tempérament de feu; et puis, même ayant pris de l’âge, la sève et la fougue de la jeunesse; avec cela, une imagination, d’une puissance et d’une vivacité qu’on ne trouve que chez les grands poètes naturalistes, hantés par la structure éblouissante de l’univers. Quoi d’étonnant si, méprisant les recettes et réfutant les conventions de l’art de peindre, le Gotène de la maturité fait éclater les cadres des normes d’école? Gotène est un peintre atypique qui place la célébration de la vie au centre de son art. Et cela explique le dynamisme des lignes et la tempête qui traverse ses toiles.
Certes, par l’explosion des couleurs, le refus de la perspective, la simplification extrême des formes et le contraste travaillé des couleurs et des valeurs, il fait penser aux techniques et aux procédés de l’impressionnisme et de l’expressionnisme. Pour autant, il n’est pas impressionniste, il n’est pas expressionniste. Le rapprochement qu’on pourrait faire entre la peinture de Gotène et ces couleurs et ces écoles, relèverait de simples convergences fortuites. Aucun rapport de filiation. Même si «Les femmes bleues» font penser aux danseuses bleues de Degas. Gotène a ses racines plantées en profondeurs dans l’art nègre. Cependant, esprit libre, il se garde d’être prisonnier des procédés et des techniques de l’art nègre. C’est ainsi qu’il a pris ses distances avec l’académisme de l’école de Poto-Poto. Il reste imprévisible. Roulé dans cette ironie et cet humour intarissables de l’art nègre, il en amplifie la fantaisie, le lyrisme cosmique et l’élan joyeux vers la vie, parce que le spectacle changeant et divers de la vie le fascine et amuse son âme d’enfant et de poète naturellement attirée par les aspects inaccoutumés et inattendus de l’existence.
La peinture de Gotène est un perpétuel émerveillement devant la vie. Avec insistance, il en souligne le côté drôle et comique. Pour donner un exemple, elle est du meilleur humour, la grimace de ce singe coiffé d’un escargot à la tête impossible. Encombré d’objets de pacotille et avançant pesamment, «Le vieux vendeur» est tout à fait cocasse, avec sa tête de volatile bavard. Avec son étrange bonnet phrygien et sa pipe aux dimensions démesurées, le personnage du grand fumeur est burlesque dans sa gesticulation baroque. Un rapprochement entre l’univers du peintre congolais et l’univers intarissablement cocasse de Rabelais n’aurait rien de gratuit.
Et justement, ce qui caractérise la peinture de Gotène et qui l’arrache au ressassement fastidieux des mêmes sujets et des thèmes convenus, c’est cette sève intarissable, ce foisonnement de vie qui s’alimente au bouillonnement des forces qui sont en lui. Forces gourmandes, sans cesse elles poussent le peintre à chercher à capter tous les messages de la nature. Ce qui donne des tableaux saisissants: «Les feuilles qui nous parlent», «Un étang sans poissons», «Forêt d’eucalyptus», «Feu de brousse», «Une forêt verte», pour ne citer que ceux-là.
Capter tous les messages de la nature, écouter les voix du monde pour dialoguer avec elles, fonction essentielle des grands poètes, de Lucrèce à Shakespeare, de Victor Hugo à Baudelaire, de Baudelaire à Mallarmé, de Mallarmé à Rimbaud. L’élan qui soulève la peinture de Gotène vient justement de son contact plénier avec les choses drues et concrètes de la vie. A la façon des symbolistes, il veut célébrer la nature dont il s’efforce de percer et de révéler l’aspect caché, le sens mystérieux qui obsédait Mallarmé.
Sous son regard, les eucalyptus sont soudain doués d’une âme. Alors, Gotène les drape dans la dignité altière des notables Batéké. Sous son pinceau, les poissons cessent d’être de banals petits animaux juste faits pour satisfaire les besoins alimentaires de l’homme. Sous le pinceau de Gotène, le poisson est créature vivante et belle à voir, et c’est l’unique fonction que le peintre assigne à son art: révéler sa présence au monde et célébrer sa beauté et la vie.
Dans leur étrange entrelacement, les lianes grises paraissent chanter une complainte, et nous ramènent à l’émouvante chanson grise de Verlaine. Le balai cesse d’être ce vulgaire instrument de ménage; il parle aux vivants. Il est présence signifiante.
Ce foisonnement de vie, cette vitalité du cosmos, Gotène use, pour l’exprimer, de bien des procédés. Les plus courants étant ces arabesques qui enveloppent et traversent les formes pour leur imprimer cette extraordinaire vivacité de mouvement. L’autre procédé, le plus courant, est l’entrecroisement dynamique des lignes et des couleurs d’où jaillissent, parfois, des formes inattendues: «Les danseuses aux bracelets», «Le couple rouge et beige», «Les couleurs du lit», «Les cinq rêveurs»… Une véritable fantasmagorie. Peinture vivante de Gotène qui arrache à l’existence, pour leur faire prendre part au chant et à la danse du monde, les objets inanimés mêmes. Et parce qu’il ne conçoit pas autrement la structure de l’univers que sous l’image d’un tournoiement perpétuel et de la valse des éléments qui le constituent, Gotène revient constamment sur le thème de la danse: «La danse noire sous la neige», «Les acrobates», «Les trois divinités»... Parce que, par le sortilège de la musique, la danse instaure, entre les individus qui y entrent, un lien d’intimité communielle, la danse est (Gotène y revient de façon obsessionnelle) l’étincelle qui rallume la joie du monde. Et le monde de Gotène est un monde pris dans un irrésistible élan de joie.

Dominique NGOIE-NGALLA

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