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Littérature. Mukala Kadima-Nzuji : «Les écrivains congolais de la nouvelle génération évoluent en vase clos»

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Littérature. Mukala Kadima-Nzuji : «Les écrivains congolais de la nouvelle génération évoluent en vase clos»
Ecrivain de renommée internationale, né à Mobayi-Mbongo, dans la province de l’Equateur, le 23 novembre 1947, Mukala Kadima-Nzuji enseigne depuis trente ans à l’université Marien Ngouabi de Brazzaville. En bref séjour à Kinshasa, il a accordé hier jeudi 4 juillet un entretien au journal ‘‘Forum des As’’ où il fait une lecture critique de l’enseignement universitaire et de la littérature en République démocratique du Congo. Vous vivez depuis une trentaine d’années au Congo-Brazzaville. Quelles sont les activités que vous menez personnellement dans ce pays voisin ?

Professeur à l’université Marien Ngouabi, l’unique université publique de la République du Congo, j’enseigne la théorie littéraire et les littératures francophones. Il s’agit notamment des littératures africaine, belge, suisse, québécoise… En marge de cette activité d’enseignement, je dirige depuis 1990 «Les éditions Hemar», une maison d’édition que j’ai créée avec quelques partenaires. Société à responsabilité limitée, elle a pour vocation les champs intellectuel, scientifique et littéraire.

Y a-t-il dans cette université d’autres enseignants originaires de la République démocratique du Congo ?

Quand je suis arrivé à Brazzaville en 1983, j’ai trouvé beaucoup d’enseignants provenant de la RDC. A l’époque, on bénéficiait d’un statut particulier en tant qu’expatrié, et c’était intéressant. En 1990, à l’issue de la Conférence nationale du Congo-Brazza, nos faveurs ont été supprimées. Tous les expatriés ont été alignés sur le statut des fonctionnaires congolais qui, à l’époque, était moins alléchant qu’il l’est devenu aujourd’hui. Certains compatriotes de chez nous avaient accepté de se plier aux nouvelles conditions. Mais plusieurs ont quitté le pays. Une autre vague d’enseignants de la RDC ont quitté l’université, vu l’âge. En fait, la retraite était fixée là-bas à 55 ans pour les assistants. Ceux des nôtres qui ont dépassé l’âge, ont été admis à la retraite et sont partis. D’autres Congolais de notre pays sont décédés pendant leur mandat. Aujourd’hui donc, nous ne sommes que deux à trois enseignants originaires de la RDC à l’université Marien Ngouabi. Officiellement, je suis allé en retraite l’année passée, précisément depuis le 1er décembre 2012 quand j’ai atteint mes 65 ans. Mais, de temps en temps, je continue à dispenser quelques cours…

Aujourd’hui de retour au pays, constatez-vous un changement au niveau de l’enseignement universitaire en RDC ?

Le changement est sensible. Avant de quitter l’ex-Zaïre en 1974 pour aller préparer mon doctorat en France et en Belgique, j’avais presté comme assistant à l’Université de Lubumbashi où notre faculté des Lettres a été transférée lors de la création de l’Université nationale du Zaïre (UNAZA). Fraichement diplômé en philologie romane à l’Université de Kinshasa, j’ai vu évoluer la situation. Avant cette période, tout allait bien dans l’enseignement universitaire : les enseignants étaient de qualité appréciable (ils avaient une renommée internationale, faisaient des recherches et publiaient beaucoup), la formation dispensée de haute facture, les bibliothèques étaient fournies et à jour (la commande des ouvrages récents ne tardait pas). L’université en RDC jouissait alors d’un prestige international. Mais avec la zaïrianisation et l’unification de toutes les universités en une seule, à travers l’UNAZA, la politique s’est mêlée à l’enseignement, à la recherche… L’esprit de l’université a perdu sa splendeur, et les problèmes ont commencé à se signaler…

Pouvez-vous être plus précis ?

Certes, avec le transfert de la faculté des Lettres à Lubumbashi, beaucoup d’ouvrages ont disparu. Et la bibliothèque ne répondait plus comme avant. Or, l’enseignement universitaire sans documentation, sans bibliothèque, ne peut rien donner de bon. D’où la descente aux enfers des universités congolaises. Ce déclin s’est accéléré avec le départ massif des coopérants étrangers. Toutefois, quand on observe le paysage scientifique du Congo, on s’aperçoit que les universitaires de notre pays, en dépit des conditions de travail particulièrement difficiles, publient énormément. Cela est dû à l’idée qu’ils se font de l’université et de la recherche. Et aussi au choix de l’université comme activité principale qui engage leurs vies, et à l’importance qu’ils attachent à la recherche. C’est en grande partie grâce aux réseaux auxquels ils appartiennent qu’ils peuvent bénéficier de publications récentes dans leurs domaines.

Ces publications sont-elles valides ?

La plupart des publications des universités de la RDC ne remplissent pas les conditions pour franchir les frontières nationales. Les raisons sont simples. Elles pèchent généralement par leur présentation matérielle qui ne répond pas aux normes internationales. Plusieurs ouvrages sont publiés sur de mauvais papiers les rendant moins attrayants sur le marché scientifique. Ils souffrent par ailleurs d’une mauvaise impression : on trouve notamment des phrases de travers, de l’encre insuffisant rendant parfois illisibles, voire invisibles certains mots… Ces publications, aussi intéressantes soient-elles, ne sont pas compétitives sur le plan international. Ce qui fait que si on ne s’intéresse pas à ce qui se passe au Congo, on risque de ne jamais y jeter un coup d’œil.

Ayant longtemps séjourné à l’étranger, vous avez eu l’opportunité de publier dans de grandes maisons d’édition. Pouvez-vous nous parler de vos publications ?

J’ai publié jusque-là une quinzaine d’ouvrages, dont cinq ouvrages littéraires (poésie, roman…), cinq critiques littéraires et six œuvres collectives (publications d’éditeurs scientifiques coordonnées). Sur le plan littéraire, on peut citer quatre recueils de poèmes : ‘‘Les rythmes sanguins’’ (publié en 1968 dans l’Anthologie des écrivains congolais), ‘‘Les ressacs’’ (publié en 1969 à Kinshasa, dans les éditions Lettres congolaises), ‘‘Préludes à la terre’’ (Editions du Mont noir, 1971), et ‘‘Redire les mots anciens’’ (Editions Saint Germain de Près, Paris, 1977). A ces ouvrages, s’ajoute un roman : ‘‘La chorale des mouches’’ (Editions Présence africaine, Paris, 1993). Et parmi les œuvres de critique littéraire, on peut compter : ‘‘Bibliographie littéraire de la République démocratique du Congo (1931-1972)’’- publié en 1972 par la Faculté des Lettres de Lubumbashi, ‘‘Jacques Rabemananjara, l’homme et l’œuvre’’ (Editions Présence africaine, Paris, 1982), ‘‘Littératures zaïroises des langues françaises’’ (1945-1965) publié en 1984 à Paris avec les éditions Karthala et l’Agence culturelle technique), ‘‘Arts, lettres, sciences humaines et développement national’’ (publié en par la Faculté des Lettres de Brazzaville et les éditions Académia de Louvain, Brazzaville et Louvain La neuve)...

En observateur averti, quelle lecture critique faites-vous aujourd’hui de la production des écrivains de la RDC ?

La production littéraire est prolifique présentement. Je vois publier de nombreux recueils de poèmes, des romans, des pièces de théâtre… Mais ces œuvres sont-elles de qualité ? J’estime, moi, que, dans cette masse de publications, il y a très peu de choses intéressantes. J’ai toujours eu l’impression que cette nouvelle littérature se développe en vase clos par rapport à celle des aînés. Or, pour qu’une littérature, un écrivain, un artiste s’épanouisse, il faut absolument qu’il se frotte aux autres. Pour l’écrivain, cela doit se faire à travers les lectures. Il me semble que nos jeunes auteurs ne lisent pas beaucoup. Ils se contentent d’exprimer leurs émotions, leurs idées ou leurs visions, en oubliant que la littérature n’est pas que cela. La littérature est avant tout travail, manière de dire, recherche formelle, esthétique. Ceci se découvre en se confrontant avec les autres pour tenter de se frayer son propre chemin, son propre style…

Propos recueillis par Yves KALIKAT

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