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Hommage à l’artiste visionnaire Joseph Kabasele, alias Grand Kalle

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C’est Kallé qui a « internationalisé » pour ainsi dire la rumba congolaise, mais qui a en revanche domestiqué pour le public congolais la « world music » de l’époque. Et quelle capacité d’écoute et de direction d’orchestre.
Hommage à l’artiste visionnaire Joseph Kabasele, alias Grand Kalle
Le 11 février 1983 s’éteignait une voix immense, voix puissante congolaise, voix volcanique panafricaine, celle de Joseph Kabasele.

Ainsi prenait fin, de façon pathétique, une des carrières les plus emblématiques et les plus fulgurantes de la musique congolaise moderne.

Né à Matadi, émigré très tôt à Kinshasa et éduqué chez les Révérends Pères Scheutistes dont le célèbre Tata Raphaël, Kallé avait gardé de sa formation la « classe » et un goût prononcé de la culture.

Cette ouverture au monde et à la diversité culturelle le poursuivra toute sa carrière. Que retenir d’essentiel justement de sa carrière ? Kallé est vite sorti des sentiers battus dès les années 1950, non seulement en abandonnant le style semi-folklorique des griots et de petits ensembles exotiques d’animation des quartiers et des coteries ethniques, pour créer un groupe homogène de talents recrutés parmi la crème des « clercs » (l’équivalent des « instruits », des « intellectuels » d’aujourd’hui) ; non seulement en quittant les « écuries » dominées par les sponsors grecs, portugais ou israélites, pour créer un orchestre à part entière, dénommé « African Jazz ».

Cet orchestre était tout un programme, d’abord par son titre même, « African », à l’époque où les Congolais ne rêvaient pas plus loin que leur village ou leurs centres urbains (à la rigueur, trop rêver trop loin pouvait être un délit d’opinion pour les Belges !) ; ensuite par son répertoire multiculturel puisé dans le « Jazz » au sens large des Kinois de l’époque: mélange de rythmes caribéens, français, sud-américains, et évidement congolais.

Kallé a fini par donner à la rumba congolaise un rythme « typique » au sens à la fois syncrétique, « tropical » et festif, mais toujours original du terme.

C’est Kallé qui a « internationalisé » pour ainsi dire la rumba congolaise, mais qui a en revanche domestiqué pour le public congolais la « world music » de l’époque. Et quelle capacité d’écoute et de direction d’orchestre !

Quel lyrisme ! On se souviendra de « Parafifi », ou de « bolingo lokola likie », ou encore de « Kallé-Kato, qui ont bousculé au milieu des années ’50 tous les « hit parades » de toutes les radios africaines.

A partir de 1960, le talent d’organisateur, d’arrangeur et d’interprète de Kallé-Jeff explosent littéralement : qui n’a chanté dans toute l’Afrique « Indépendance Cha Cha », pas seulement hymne aux pionniers de l’indépendance, mais véritable archive qui déroule les noms des protagonistes belges et congolais ainsi que l’ambiance triomphaliste du 30 juin 1960 (au point que pendant longtemps beaucoup de Congolais croyaient que c’était l’Hymne National !).

Qui ne se souvient d’ « Africa Mokoli mobimba » que répètent encore aujourd’hui à l’envi toutes les générations des mélomanes toutes tendances réunies ? Cette époque de 1960 à 1964 a connu une vraie transformation dans l’inspiration de Kallé, plus panafricaniste que jamais, surtout après l’assassinat du Premier Ministre Patrice Lumumba, son idole.

Son idole, malgré les positions hostiles de son oncle Mgr Joseph Malula, mais suivant en cela les mouvements d’enthousiasme et de fanatisme de bon nombre de jeunes Kinois acquis au parti MNC et au « nationalisme lumumbiste ».

On en parle pas beaucoup, hélas, de ces jeunes militants kinois sacrifiés à l’holocauste de la « boucherie de Bakwanga » par la police politique d’alors, viscéralement « anti-lumumbiste »; mais Kallé, à ses risques et périls, les avait déjà immortalisés dès 1963 : Finant, Mpolo, Okito, Elengesa, Muzungu, Mbuyi, Nzuji, etc.

Nationaliste, il l’a été de façon continue, même dans sa vie de professionnel artiste : qui ne se souvient de cet hymne au « grand Congo » où il disait que le fleuve Congo ne saurait être une frontière, mais qu’il est au contraire une passerelle fraternelle ; qui ne se souvient en effet que c’est au retour de la fulgurante tournée en Belgique de l’African Jazz, à l’occasion de l’indépendance du Congo, que Kallé a créé les premières éditions discographiques congolaises « Surboum African Jazz », et initié le projet d’une société congolaise autonome des droits d’auteur affranchie de la tutelle belge.

Qui se souvient qu’à l’avènement du régime du président Mobutu, et sentant les tentations totalitaires venir, Kabasele a mis les voiles pour un exil volontaire en France. Revenu au pays, il a été le seul artiste musicien à s’abstenir de se ranger dans la thématique et le culte de personnalité alors ambiants, au sein du parti unique…

Puis, ce furent les amours artistiques afro-cubaines des années 80, avec la rencontre de Gonzalo et les retrouvailles d’Essous Jean-Serge, un autre musicien hors frontières. Joseph a été un pionnier et un maître. Pionnier parce que c’est lui qui a structuré la facture de l’orchestre congolais et de la rumba modernes ; et depuis elle n’a pas vraiment changé.

Un maître parce qu’il a été en lui-même une « école » : Tabu Ley, Mujos, Bombenga, Matthieu Kouka, et d’autres idoles plus jeunes ne se réclament-ils pas de lui ? A côté des « monstres de scène » comme Tabu ley, Nico Kassanda, Dechaud Mwamba, Willy Mbeme, Maproco, Depuissant, Petit Pierre, Dessoin, Charles Kibonge, et même Manu Dibango, ou encore des animateurs comme Jamais-Kolonga, Laboga, Massibu, Kallé a porté la musique congolaise au firmament, presque sans concurrence en Afrique.

Kabasele est mort comme il a vécu : fier, altier, digne. Même s’il est mort démuni comme la plupart de nos « vedettes». L’opinion a apprécié les efforts du gouvernement d’honorer les grands de la culture congolaise : on a suivi avec émotion l’hommage à Franco Luambo, à Tabu Ley, et même dans une certaine mesure au sculpteur Liyolo Limbe.

Kabasele mérite le Panthéon. Immortel il est ; immortel il le restera à travers le monde. N’est-il pas étonnant qu’en 1989, en hommage à son apport dans la musique sud-américaine, tout un orchestre cubain de près de 100 musiciens avec chœurs et corps de danseuses ait fait le déplacement de Kinshasa, en réinterprétant pour nous les morceaux d’anthologie afro-cubaine du « Grand Kallé ». Nul ne serait donc prophète chez soi ?

Yoka Lye/Le Potentiel

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