Congo, (Starducongo.com) - Trois étapes dans une seule vie d’homme, de l’enfance à l’âge adulte, tel est le destin du héros Diélé que présente le roman du professeur Pierre Ntsemou. La belligérance entre les dimensions référentielle et littérale qui se remarque dans ce récit donne une autre saveur à ce roman.

Étrange destin d’un jeune Africain très intelligent à l’école qui deviendra un grand politique à l’âge adulte. D’abord secoué par la brimade qu’il subit à la rentrée au secondaire après un passage mouvementé au primaire, Diélé parvient à sortir de cet enfer en obtenant le bac, parchemin qui lui permet d’aller étudier à l’étranger. Contre toute attente, sa petite fiancée Fatou batifole avec un autre amoureux en son absence. Elle a trahi l’engagement de fidélité promis à Diélé qui est obligé de s’amouracher, à son tour, d’une actrice de théâtre du pays d’accueil. Il est accepté, malgré lui, par les parents de la fille qui sera son épouse. Aussi le destin de Diélé se voit interpeller par la politique quand il revient au pays avec sa femme. Et le narrateur de rappeler une partie du passé politique de l’Afrique centrale où le Royaume du Kongo, le Moyen Congo et quelques pays actuels d’Afrique centrale sont référenciés au cours du récit. Au pays, Diélé tente de retrouver son ami d’école Tony reparti à Bangui où il a été incorporé dans l’armée. Dans un État où règne la pagaille politique et où l’activité commerciale est largement aux mains des étrangers jaunes et waras, le président de la République espère alors résoudre tous ces problèmes avec l’expérience du jeune électronicien Diélé. Et sur la route qui le conduit vers le nord, il est rappelé à Brazzaville par le président. A partir de ce moment, Diélé s’implique ouvertement dans la gestion des affaires de l’État qui va l’emmener à la magistrature suprême quand le président se retirera du pouvoir. Lui aussi, après avoir mis de l’ordre dans la classe politique gangrené par le Mal, laissera le pouvoir dans les mains d’une femme, la jeune Bolingo, pour continuer la renaissance du pays. Riche en micro-narrations suspensives, le roman de Pierre Ntsemou se caractérise par un travail scriptural qui lie le référentiel au littéral, un mariage qui révèle une autre spécificité textuelle de l’auteur.
Roman-fable ou fable-roman ?
S’il est un point qui différencie le texte de « Diélé : l’ange, l’homme et la bête » de la plupart des textes de ses compatriotes, c’est la technique de la fable que l’auteur manie avec dextérité. C’est à travers le bestiaire que le roman nous fait découvrir la classe politique africaine. Tels des animaux sortis de la forêt et parfois des maisons dont ils ont la garde, les ministres du pays de Diélé se caractérisent par leur « animalité » sauvage. Aussi les animaux apparaissent-ils comme des personnages qui agissent comme dans les fables de la Fontaine : « Diélé demeura intraitable en maintenant à Makala ceux qui croyaient que les petits chiens du pouvoir allaient vite cesser d’aboyer contre les gros, gras et grands chiens du pouvoir » (p.156). Aussi, remarque-t-on dans le coulé narratif du texte, l’auteur qui se plait à comparer les hommes politiques à des animaux, plus souvent domestiques qui vivraient dans notre environnement. On le remarque dans la conspiration qui se trame contre le président : « Les rats et les souris s’étaient associés en bons rongeurs pour cette besogne (…). Alors tous les chats sortiraient leurs griffes de partout, les rats et les souris suivraient la danse en mangeant dans tous les greniers et les chiens reviendraient gaiement aboyer pour acclamer les uns, mordre encore les autres pour tout le mal d’ingratitude subi pour défendre l’homme et son pouvoir » (p.89). A travers ce roman-fable se dégagent quelques spécificités du pouvoir en Afrique.
Le président et Diélé : le pouvoir politique, d’une génération à une autre
Ce roman traite de l’Afrique des XXe et XXIe siècles, même si l’auteur fait un grand saut dans l’espace et dans le temps (technique de la narration qui précède l’histoire) pour des besoins fictionnels et esthétiques, en nous faisant entrer dans l’an 2025 : « (…) la nouvelle constitution est entrée en vigueur le 1er mars 2025 (…) Cinq mois plus tard le 15 août 2025 (…), le président annonçait un recrutement de 10000 agents… » (p.174). Avec le président, c’est l’Afrique du népotisme et du tribalisme que nous fait revivre le récit, une Afrique où « n’importe qui fait n’importe quoi ». Inquiété par le commerce intensif des étrangers, le président demande à Diélé de trouver une solution pour parer à ce monopole avant que le peuple ne s’en prenne au pouvoir. Quand Diélé entre au gouvernement, le pays connait un nouveau souffle qui pousse le président à changer de comportement : « Comme le pays pansait encore ses plaies tribales, le président ne voulut courir aucun risque ; il limogea (…) son cousin germain, ministre de la Justice(…) et ce fils de con de la Bembalie… » (p. 81). Ministre de la Communication puis au sommet de l’État, Diélé transforme en bien le Mal qui couvait dans le gouvernement. Un remaniement : remplacer la vieille génération par les étudiants qui vont constituer la nouvelle classe politique de la nation. Les jeunes s’opposent au népotisme et au favoritisme : « Ils refusèrent de se ranger en groupes ethniques, claniques, régionalistes ou communautaires » (p.160). Avec Diélé, il n y a plus d’injustice sociale ; il est pour l’émergence politique fondée sur des qualités morales et humaines : « (…) sous l’ère de Diélé (…) le mérite, la compétence et la justice étaient le triptyque à observer pour être élu gestionnaire des affaires de l’État » (p.164). Ainsi laissera-t-il un pays bien gouverné à Chimène Bolingo qui fait partie de son cabinet qu’il a remanié car appelé à d’autres fonctions internationales : une nouvelle mission de Nzamb’Mpungu.
Un travail soutenu du littéral dans un récit traditionnel
Le roman de Pierre Ntsemou s’inscrit dans la nouvelle écriture du récit africain qui privilégie le travail au niveau du signifiant. Il se caractérise, en dehors de l’imaginaire et de l’imaginé de la fable, par la théâtralité du récit où les personnages parlent plus que le narrateur. Ici, la théâtralité n’est pas dramatique mais plutôt comique. Le chapitre 1, « Le prurit ravageur » se lit comme une scène de pièce de théâtre à l’intérieur d’un récit où le narrateur serait confondu à un spectateur. Cette technique de théâtralisation fait écho au langage poétique dans le jeu de mots sur fond de répétitions, d’allitérations et rebondissements qui, sans cesse, meublent le texte tout au long de son déroulement. Et cette manie est source de musicalité qui donne une touche lyrique et esthétique au texte : « Mais on ne veut pas partir. On ne peut pas partir. On ne doit pas partir » (p.110). Un peu plus loin, c’est un mot qui est repris plus d’une dizaine de fois dans un segment narratif presque d’une page : « Et les danses du Gouvernement ont défrayé la chronique (…) toutes les parties de plaisir à l’hôtel du Gouvernement, à la piscine du Gouvernement, à l’hôpital du Gouvernement, au train du Gouvernement, dans l’avion du Gouvernement, dans (…) la forêt du Gouvernement, au stade du Gouvernement… » (p.134). On peut affirmer, sans ambages, que le récit dans ce roman est théâtralisé, une théâtralisation typiquement comique se mariant souvent avec une poésie en prose qui donne une certaine musicalité au texte. Cela confirme la plume plurielle de l’écrivain qui est d’abord poète (2) et dramaturge (3) avant de se découvrir romancier.
Pour conclure
Avec « Diélé : l’ange, l’homme et la bête », continue de s’affirmer une nouvelle tendance du roman africain où le « Comment raconter ? » prime peu ou prou sur le « Quoi raconter ? ». Aussi, à travers le style de ce récit, se dévoile un autre type de roman qui privilégie le travail du signifiant au détriment de l’histoire rapportée qui s’apparenterait à une tautologie. Et ce roman pourrait s’apprécier comme un tableau de peinture qui respecte et répète les couleurs choisies pour chaque image.
Noël KODIA,
Essayiste et critique littéraire
(1) P. Ntsemou, « Diélé : l’ange, l’homme et la bête », éd. Publibook, Paris, 2013, 19€
(2) P. Ntsemou, « La Flûte du cœur », éd. L’Harmattan, Paris, 2012
(3) P. Ntsemou, « Les Déboires de Patrice Likeur », éd. L’Harmattan, Paris, 2013
Roman-fable ou fable-roman ?
S’il est un point qui différencie le texte de « Diélé : l’ange, l’homme et la bête » de la plupart des textes de ses compatriotes, c’est la technique de la fable que l’auteur manie avec dextérité. C’est à travers le bestiaire que le roman nous fait découvrir la classe politique africaine. Tels des animaux sortis de la forêt et parfois des maisons dont ils ont la garde, les ministres du pays de Diélé se caractérisent par leur « animalité » sauvage. Aussi les animaux apparaissent-ils comme des personnages qui agissent comme dans les fables de la Fontaine : « Diélé demeura intraitable en maintenant à Makala ceux qui croyaient que les petits chiens du pouvoir allaient vite cesser d’aboyer contre les gros, gras et grands chiens du pouvoir » (p.156). Aussi, remarque-t-on dans le coulé narratif du texte, l’auteur qui se plait à comparer les hommes politiques à des animaux, plus souvent domestiques qui vivraient dans notre environnement. On le remarque dans la conspiration qui se trame contre le président : « Les rats et les souris s’étaient associés en bons rongeurs pour cette besogne (…). Alors tous les chats sortiraient leurs griffes de partout, les rats et les souris suivraient la danse en mangeant dans tous les greniers et les chiens reviendraient gaiement aboyer pour acclamer les uns, mordre encore les autres pour tout le mal d’ingratitude subi pour défendre l’homme et son pouvoir » (p.89). A travers ce roman-fable se dégagent quelques spécificités du pouvoir en Afrique.
Le président et Diélé : le pouvoir politique, d’une génération à une autre
Ce roman traite de l’Afrique des XXe et XXIe siècles, même si l’auteur fait un grand saut dans l’espace et dans le temps (technique de la narration qui précède l’histoire) pour des besoins fictionnels et esthétiques, en nous faisant entrer dans l’an 2025 : « (…) la nouvelle constitution est entrée en vigueur le 1er mars 2025 (…) Cinq mois plus tard le 15 août 2025 (…), le président annonçait un recrutement de 10000 agents… » (p.174). Avec le président, c’est l’Afrique du népotisme et du tribalisme que nous fait revivre le récit, une Afrique où « n’importe qui fait n’importe quoi ». Inquiété par le commerce intensif des étrangers, le président demande à Diélé de trouver une solution pour parer à ce monopole avant que le peuple ne s’en prenne au pouvoir. Quand Diélé entre au gouvernement, le pays connait un nouveau souffle qui pousse le président à changer de comportement : « Comme le pays pansait encore ses plaies tribales, le président ne voulut courir aucun risque ; il limogea (…) son cousin germain, ministre de la Justice(…) et ce fils de con de la Bembalie… » (p. 81). Ministre de la Communication puis au sommet de l’État, Diélé transforme en bien le Mal qui couvait dans le gouvernement. Un remaniement : remplacer la vieille génération par les étudiants qui vont constituer la nouvelle classe politique de la nation. Les jeunes s’opposent au népotisme et au favoritisme : « Ils refusèrent de se ranger en groupes ethniques, claniques, régionalistes ou communautaires » (p.160). Avec Diélé, il n y a plus d’injustice sociale ; il est pour l’émergence politique fondée sur des qualités morales et humaines : « (…) sous l’ère de Diélé (…) le mérite, la compétence et la justice étaient le triptyque à observer pour être élu gestionnaire des affaires de l’État » (p.164). Ainsi laissera-t-il un pays bien gouverné à Chimène Bolingo qui fait partie de son cabinet qu’il a remanié car appelé à d’autres fonctions internationales : une nouvelle mission de Nzamb’Mpungu.
Un travail soutenu du littéral dans un récit traditionnel
Le roman de Pierre Ntsemou s’inscrit dans la nouvelle écriture du récit africain qui privilégie le travail au niveau du signifiant. Il se caractérise, en dehors de l’imaginaire et de l’imaginé de la fable, par la théâtralité du récit où les personnages parlent plus que le narrateur. Ici, la théâtralité n’est pas dramatique mais plutôt comique. Le chapitre 1, « Le prurit ravageur » se lit comme une scène de pièce de théâtre à l’intérieur d’un récit où le narrateur serait confondu à un spectateur. Cette technique de théâtralisation fait écho au langage poétique dans le jeu de mots sur fond de répétitions, d’allitérations et rebondissements qui, sans cesse, meublent le texte tout au long de son déroulement. Et cette manie est source de musicalité qui donne une touche lyrique et esthétique au texte : « Mais on ne veut pas partir. On ne peut pas partir. On ne doit pas partir » (p.110). Un peu plus loin, c’est un mot qui est repris plus d’une dizaine de fois dans un segment narratif presque d’une page : « Et les danses du Gouvernement ont défrayé la chronique (…) toutes les parties de plaisir à l’hôtel du Gouvernement, à la piscine du Gouvernement, à l’hôpital du Gouvernement, au train du Gouvernement, dans l’avion du Gouvernement, dans (…) la forêt du Gouvernement, au stade du Gouvernement… » (p.134). On peut affirmer, sans ambages, que le récit dans ce roman est théâtralisé, une théâtralisation typiquement comique se mariant souvent avec une poésie en prose qui donne une certaine musicalité au texte. Cela confirme la plume plurielle de l’écrivain qui est d’abord poète (2) et dramaturge (3) avant de se découvrir romancier.
Pour conclure
Avec « Diélé : l’ange, l’homme et la bête », continue de s’affirmer une nouvelle tendance du roman africain où le « Comment raconter ? » prime peu ou prou sur le « Quoi raconter ? ». Aussi, à travers le style de ce récit, se dévoile un autre type de roman qui privilégie le travail du signifiant au détriment de l’histoire rapportée qui s’apparenterait à une tautologie. Et ce roman pourrait s’apprécier comme un tableau de peinture qui respecte et répète les couleurs choisies pour chaque image.
Noël KODIA,
Essayiste et critique littéraire
(1) P. Ntsemou, « Diélé : l’ange, l’homme et la bête », éd. Publibook, Paris, 2013, 19€
(2) P. Ntsemou, « La Flûte du cœur », éd. L’Harmattan, Paris, 2012
(3) P. Ntsemou, « Les Déboires de Patrice Likeur », éd. L’Harmattan, Paris, 2013
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