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Le calvaire des enfants angolais accusés de sorcellerie

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Le calvaire des enfants angolais accusés de sorcellerie
La croyance dans la sorcellerie est très forte en Angola. Si elle aide certains à résoudre leurs problèmes, elle fait aussi des victimes, en particulier chez les enfants.

Nela a 9 ans, les cheveux courts et crépus, de grands yeux noirs. Elle vit dans un orphelinat de Viana, à la périphérie est de Luanda, la capitale de l’Angola.

Pourtant, ses parents sont bien vivants. Mais ils ne veulent plus la voir. Ils l’ont bannie de leur famille et de leur vie parce qu’ils l’accusent d’être une sorcière.

La rupture a eu lieu, il y a trois ans. Nela a alors six ans, une petite sœur de deux ans et un frère encore nourrisson. La mère est fragile et rencontre des difficultés. Elle consulte le marabout du village.

Ce dernier cherche la cause du mal et il la trouve en la personne de Nela et de son frère. Il les accuse de porter en eux de mauvais esprits, d’être le mal. Il traite Nela de «bruxa», c’est-à-dire «sorcière» en portugais.

«Ma mère m'a accusée d’être une sorcière, elle s’est mise à me battre et elle voulait me tuer parce qu’elle avait parlé avec son marabout. Sur ses conseils, elle a tué mon frère. Elle l’a tué. Ils nous accusaient tous les deux d’être des sorciers alors elle l’a pris, elle l’a noyé et il est mort», raconte Nela d’une toute petite voix.

Le secours des religieuses

Une fois débarrassée du nourrisson, la mère frappe à nouveau son aînée et l’enferme pendant une semaine. C’est la petite sœur de Nela, effrayée, qui finit par prévenir les voisins. Ces derniers appellent des religieuses qui vivent à côté. Ce sont elles qui libèrent Nela et l’envoient à l’orphelinat pour la sauver.

«Quand elle est arrivée ici, elle avait des traces de coups sur le corps, des marques de liens sur les bras, elle était traumatisée», se souvient la sœur Domingas, religieuse dominicaine sortie du couvent, il y a dix ans pour s’occuper de l’orphelinat, soutenue par une association, Obra de Caridade da Criança Santa Isabel.

Les premiers temps ont, bien sûr, été très difficiles. Il a fallu rassurer Nela, la convaincre qu’elle n’était pas une sorcière, lui redonner confiance en elle. Elle a aussi dû se faire à sa nouvelle vie dans l’orphelinat et se résigner à tirer un trait sur sa famille. Mais aujourd’hui, elle va beaucoup mieux et a retrouvé une certaine insouciance.


Une pratique venue du Bassin du Congo

Les cas d’enfants accusés de sorcellerie comme Nela sont concentrés dans le nord de l’Angola, à la frontière avec la République démocratique du Congo. Et pour cause, le phénomène est originaire de cette zone, celle du bassin du Congo sur des territoires appartenant à l’aire culturelle Kongo.

On le retrouve donc également en République démocratique du Congo (RDC) et au Congo-Brazzaville et dans quelques pays voisins, mais de façon plus sporadique.

Les conflits et déplacements de population, nombreux dans cette zone, ont contribué à diffuser ces pratiques. Toutefois, en Angola comme dans les pays voisins, il est impossible de savoir le nombre d’enfants concernés.

En avril 2010, un rapport de l’Unicef sur le sujet soulignait que 23.000 enfants étaient contraints de vivre dans les rues de Kinshasa, en raison d’accusations de sorcellerie.

Toujours selon ce même rapport, ils étaient 423 dans une ville du nord de l’Angola d’après les estimations des autorités locales.

Les accusations tombent souvent sur les enfants assez jeunes, âgés de moins de 13 ans, c’est-à-dire avant leur entrée dans l’adolescence. Elles peuvent viser un orphelin qui arrive dans une nouvelle famille, un enfant d’un premier mariage dans une famille recomposée ou encore un enfant avec un handicap physique ou un trait de caractère particulier, comme une trop forte agressivité ou, au contraire, une tendance à la rêverie.

Le rôle de la pauvreté et des pasteurs des églises évangéliques

Doutant de la normalité de leur enfant, les parents consultent le marabout ou autre guérisseur de la communauté pour en savoir plus. Si le soupçon d’ensorcellement est confirmé, le marabout peut essayer de guérir l’enfant, réussir ou échouer, et, dans ce dernier cas, le déclarer perdu.

Une fois l’accusation de sorcellerie prononcée, c’est un cercle vicieux qui attend l’enfant: stigmatisation, violence, exclusion.

«Une fois qu’il a subi des accusations, l’enfant est battu, renié et chassé. S’il reste dans la rue, il a de grandes chances de se faire violenter par sa famille ou des voisins. Alors, il ne peut que fuir et essayer de survivre par lui-même», explique la sœur Domingas.

«Au fil des années, j’ai pu constater que ces accusations se développent dans des zones de grande pauvreté et où les églises évangéliques ont une forte influence, ajoute-t-elle. Les pasteurs ou chefs spirituels de ces mouvements se chargent alors de désigner les enfants sorciers».

Des observations confirmées par les recherches de l’Unicef. Dans son rapport de 2010, on peut ainsi lire:

«Dans les accusations de sorcellerie envers les enfants, ce sont bien les pasteurs prophètes qui demeurent des acteurs importants et indispensables, afin de valider la présence de "l’esprit de la sorcellerie". C’est ainsi que, par exemple, les pentecôtistes présentent leur foi comme une armure divine contre la sorcellerie. Ils participent activement à la lutte contre le Mal incarné par la sorcellerie.»

Des violences difficiles à combattre

«Tout se passe comme si les enfants accusés de sorcellerie servaient ainsi de boucs-émissaires face aux difficultés des adultes, sauf qu’après ils restent traumatisés à vie», déplore la religieuse, une petite dame en tee-shirt blanc et jupe longue colorée.

«Quand ils ont été accusés de sorcellerie, les enfants ne sont plus jamais joyeux, ils ont toujours de la tristesse en eux. Et si tu leur demandes: "pourquoi est-ce que tu es triste?" Ils te répondent: "je suis triste parce que j’aimerais que ma mère croit que je ne suis pas une sorcière"», explique la sœur Domingas.

Conscient du problème, le gouvernement angolais a publiquement condamné ces violences. L’Unicef mène de son côté des actions de sensibilisation des populations et vient en aide aux enfants. Mais force est de reconnaître que le combat est difficile, car en Angola la croyance dans la sorcellerie est très répandue.

C’est une tradition qui fait partie de la culture nationale, en lien avec l’idée de l’existence d’un esprit supérieur. Au quotidien, les Angolais recourent à un sorcier aussi appelé marabout ou guérisseur pour résoudre un problème, avoir un conseil ou jeter un sort.

«Cette pratique se retrouve dans toutes les couches de la société, chez certains hommes d’affaires, membres du gouvernement ou universitaires, comme parmi les plus pauvres », explique le pasteur et professeur à l’Institut supérieur de théologie évangélique de Lubango, José Evaristo Abias.

«Si chacun condamne les violences infantiles, il est plus délicat de critiquer le recours à la sorcellerie même si celle-ci a des conséquences néfastes pour les enfants», ajoute-t-il.

Quant à la sœur Domingas, elle craint un effet contre-productif de la condamnation publique du phénomène des enfants sorciers.

«Les enfants sont plus en danger qu’avant parce que les parents savent qu’ils doivent agir avec discrétion, avance-t-elle. Que ce soit les parents, les pasteurs ou les guérisseurs qui accusent les enfants, ils se font tous aujourd’hui beaucoup plus discrets».

Estelle Maussion

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