Brazzaville, (Starducongo.com) - En abordant la question du changement de la constitution en débat au Congo-Brazzaville, le président Denis Sassou Nguesso a déclaré que : « c’est au peuple congolais et à lui seul de trancher sur cette question le moment venu, loin de toute ingérence étrangère » Il a justifié son discours en s’appuyant sur l’histoire référendaire de la France notamment les référendums de 1958, 1962 et 1969.

Y a t-il un rapprochement logique et fondé entre les référendums français de 1958, 1962, 1969 et le projet de référendum sur le changement de la constitution du président Sassou Nguesso ?
Le président Sassou Nguesso peut-il s’appuyer sur les trois référendums (1958, 1962 et 1969), pour justifier son coup d’état constitutionnel ?
I- Le caractère non pertinent, pervers et trompe l’œil de l’appui sur l’histoire référendaire de la France de 1958 à 1969
En dehors du référendum du 28 septembre 1958 organisé dans des circonstances exceptionnelle, neuf référendums ont été organisés sous la Ve République depuis l’adoption de la constitution du 4 octobre 1958, tous sur décision du chef de l’État et, pour la plupart, selon la procédure prévue à l’article 111 de la constitution du 4 octobre 1958. Seul le référendum du 24 septembre 2000 sur le quinquennat a été organisé en application de l’article 89 de la constitution susmentionnée.
Avant d’analyser les deux référendums (celui de 1962 et de 1969) organisés sous la 5ème République, il convient d’analyser d’abord le référendum sur la révision de la constitution du 28/09/1958. En effet, c’est sur ces trois référendums que le président Denis Sassou Nguesso s’est appuyé pour justifier son projet de référendum trompe l’œil pour se maintenir au pouvoir.
Le référendum du 28 septembre 1958
Le référendum du 28/09/1958 n’a pas été initié par le président de la République française Jules Gustave René Coty (président français de 1954 à 1959). Mais par le Général De Gaulle, nommé président du conseil par le président de la République René Coty le 1er juin 1958, qui pour accepter de reprendre le pouvoir à poser deux conditions :
.gouverner par ordonnance pour une durée de 6 mois et
.pouvoir modifier la constitution.
L’acceptation de ces conditions est traduite par l’adoption de la loi constitutionnelle du 3/06/1958 portant dérogation transitoire aux dispositions de l’article 90 de la constitution du 27/10/1946 par l’assemblée nationale.
La modification de la constitution du 27/10/1946 qui a conduit à la mise en place de la constitution du 4/10/1958 ne s’est pas fait dans la manipulation, le clientélisme, l’instrumentalisation et la corruption du peuple. Elle est au contraire le résultat d’un consensus entre le président René Coty qui a menacé de démissionner et le parlement dominé par la gauche. De plus cette modification de la constitution n’était pas faite pour une convenance personnelle, car le Général De Gaulle qui l’a initié en tant que président du conseil(premier ministre), est devenu président de la République française le 8 janvier 1959 et a ensuite démissionné le 28 avril 1969.
L’article 90 de la constitution du 27/10/1946, qui a fait l’objet d’une dérogation par la loi constitutionnelle du 3/06/1958, n’était pas mis sous les verrous de la non révision comme l’article 185 alinéa 3 de la constitution du 20 janvier 2002.
Le référendum du 28 octobre 1962
Initié par le Général De Gaulle, ce référendum portait sur une révision constitutionnelle de très grande ampleur : l’élection du Président de la République au suffrage universel direct.
Auparavant le Président de la République française était élu par un collège électoral composé d'environ 81 764 grands électeurs (parlementaires, conseillers généraux, élus municipaux). Ce principe s'inscrivait dans la tradition française des IIIème et IVème républiques. C’est en effet de cette façon que le Général De Gaulle était devenu le 18ème Président de la République Française le 8 janvier 1959 et le premier président de la Vème République
L'Assemblée nationale était ainsi la seule instance nationale élue au suffrage universel direct, source forte de légitimité, afin de contrebalancer les pouvoirs élargis dont disposait le président de la République dans la nouvelle constitution (la constitution du 4 octobre 1958). Pendant la guerre d'Algérie, le Général De Gaulle affirma petit à petit la prééminence du président dans la vie institutionnelle et vers la fin de la guerre, il exprima le souhait d'inscrire cette évolution dans la constitution en instituant l'élection du président de la République au suffrage universel direct plutôt que par un collège de grands électeurs élus. Pour consulter le peuple français, le Général De Gaulle a usé de ses pouvoirs constitutionnels (prévus par la constitution française du 4 octobre 1958). En effet, dans cette constitution, il y a deux articles qui permettent au président de la République d’initier des référendums ; il s’agit de l’article 11 qui institue le référendum législatif et 89 qui institue le référendum constituant.
Pour éviter la procédure lourde et complexe de l’article 89, le Général De Gaulle a utilisé de l’article 11 de la constitution pour soumettre au référendum son projet de révision constitutionnelle portant sur l’élection du Président de la République au suffrage universel.
En effet, le référendum constituant, prévu à l’article 89 de la Constitution est initié par le président de la République ou le parlement ; il permet la révision de la Constitution. Ce référendum intervient après le vote, dans les mêmes termes, par les deux assemblées, du texte de révision proposé. Si la réponse est positive, la révision est adoptée.
Le référendum du 28 octobre 1962 était conforme à la constitution française et le Général De Gaulle a utilisé l’article 11 pour éviter de passer par le parlement. Il n’y a donc rien d’anticonstitutionnel.
Ce qu’il convient de souligner ici, c’est la conformité du référendum du 28 octobre 1962 à la constitution. Le Général De Gaulle en prenant l’initiative avait bien le pouvoir constitutionnel de consulter le peuple français sur la question de l’élection présidentielle au suffrage universel. L’élection du président de la République par un collège électoral, n’était pas mise sous les verrous de la non révision comme la question de la limitation des mandats dans la constitution du 20 janvier 2002.
Le référendum du 27 avril 1969
Le référendum du 27 avril 1969 a été organisé conformément à l’article 11 de la constitution du 4 octobre 1958. Cet article institue comme dit précédemment le référendum législatif. Le but de ce référendum était de demander le peuple français de se prononcer sur le projet de loi relatif à la régionalisation (la création des régions) et à la rénovation du sénat. En réalité le débat portait surtout sur le maintien ou non du Général De Gaulle au pouvoir. Le résultat négatif (Non 52,41%, Oui 47,59% et abstention 19,87%) a conduit à la démission du Général De Gaulle le 28 avril 1969.
Au regard de tout ce qui précède, force est de constater que les deux référendums organisés, à l’initiative du Général De Gaulle, étaient tous conformes à l’article 11 constitution ; ce qui revient à dire que ces référendums étaient tous prévus par la constitution. Le Général De Gaulle n’a pas tripatouillé la constitution en initiant les deux référendums pour se maintenir au pouvoir. Il a au contraire utilisé ses pouvoirs constitutionnels c’est-à-dire les pouvoirs prévus par la constitution pour le bien de la France et non pour convenance personnelle. Sa démission au lendemain du non au référendum du 27 avril 1969 dit tout.
Discussion
Le président Denis Sassou Nguesso ne peut s’appuyer sur les référendums de 1958, 1962 et 1969, pour justifier son projet de référendum anticonstitutionnel. D’ailleurs les référendums français de 1962 et 1969 étaient tous conformes à l’article 11 de la constitution. En effet, à propos de l’utilisation de cet article, François Mitterrand déclarait dans un entretien destiné à la revue Pouvoir que : « l’usage de l’article 11 établi et approuvé par le peuple peut désormais être considéré comme l’une des voies de la révision concurremment avec l’article 89 » (Les débats sur le référendum sous la Vème République, Pouvoirs n°77, avril 1996, p. 97-110)
Alors son projet de référendum pour changer la constitution est-il conforme à quel article de la constitution du 20 janvier 2002 ?
Ce projet n’est pas juridiquement fondé dans la mesure où il n’y a pas de base constitutionnelle permettant de justifier et/ou de mettre en œuvre un tel projet. La référence à l’histoire référendaire française est une erreur grave que le président Sassou Nguesso a commis qui montre qu’il veut à tout prix changer la constitution pour sa convenance personnelle afin de se maintenir au pouvoir
Cette référence dénote que le président Sassou Nguesso a une immaturité politique et une ignorance notoire de l’histoire des institutions françaises de la 5ème République. A travers cette référence, on constate avec force que le peuple n’est pas respecté et qu’il est pris comme un instrument maniable et manipulable au service de Sassou et de son clan. Cette considération met en doute l’argument présenté par le président Sassou selon lequel, le peuple congolais est souverain. La souveraineté consiste d’abord à respecter son peuple et non à le manipuler pour ses intérêts. Un peuple est souverain quand il est libre de choisir ses représentants, de s’exprimer et de dire non à ses représentants.
Un peuple embrigadé, abusé, manipulé et aveuglé n’est pas souverain ; dire qu’il est souverain c’est se moquer de ce peuple.
Le président Sassou Nguesso ne peut pas parler au nom du peuple qu’il a pris en otage ; quand il parle au nom du peuple c’est pour défendre ses intérêts et non ceux du peuple.
La souveraineté c’est laisser le peuple s’exprimer librement et choisir ses représentants dans une élection démocratique et transparente. Torturer le peuple pour qu’il fasse ce que vous vouliez c’est nier sa souveraineté.
Le besoin ou la nécessité de disposer d’une nouvelle constitution apparaît en effet lors qu’il y a un vide constitutionnel créé par un événement exceptionnel ayant détruit le précédent ordre constitutionnel qu’il convient dès lors de remplacer. Le Congo-Brazzaville n’a pas un vide constitutionnel pouvant justifier le besoin de disposer d’une nouvelle constitution. Il a au contraire besoin du respect de l’alternance politique instituée par la constitution pour qu’il soit fort et fiable.
Le besoin du Congo c’est l’alternance politique, le respect de la démocratie, le respect des droits de l’homme et l’instauration de l’état de droit et non le maintien de Sassou Nguesso au pouvoir.
II-Le caractère anticonstitutionnel du projet sur le changement ou la modification de la constitution du 20/01/2002
L’article 57 de la constitution congolaise du 20 janvier 2002 stipule que : « Le Président de la République est élu pour sept ans au suffrage universel direct. Il est rééligible une fois. » Cet article définit la durée du mandat présidentiel tout en précisant le nombre de mandats qu’un candidat peut faire. Au delà de deux mandats, il n’est plus possible d’être candidat à l’élection présidentielle. Cette règle s’applique à tout le monde sans exception.
Pour empêcher qu’elle ne soit dérogée, le pouvoir constituant originaire a mis en place un verrou. C’est l’article 185 alinéa 3 qui interdit de réviser le nombre de mandats du président de la République. Il le dit en termes : « La forme républicaine, le caractère laïc de l'Etat, le nombre de mandats du Président de la République ainsi que les droits énoncés aux titres I et II ne peuvent faire l'objet de révision. »
Au regard de ces deux articles, force est de constater que le nombre de mandats du président de la République ne peut faire l’objet de modification, de changement et de dérogation. Cette disposition est incontournable dans la mesure où elle institue l’alternance politique qui est une condition nécessaire à la démocratie.
Au verrou sur la limitation du nombre des mandats, la constitution ajoute celui de l’âge. C’est l’article 58, 5° qui limite l’âge du candidat aux fonction de président de la République à 70 ans. Au delà de 70 ans ce n’est plus possible d’être candidat. L’article 58, 5° dispose à cet effet que : « Nul ne peut être candidat aux fonctions de Président de la République : s'il n'est âgé de quarante ans, au moins, et de soixante dix ans, au plus, à la date du dépôt de sa candidature ; »
Le projet de changer la constitution ou de modifier les articles 57 et 185 alinéa 3 est en soi anticonstitutionnel, car la constitution du 20 janvier 2002 n’a pas prévu son changement. La voie du référendum d’initiative populaire est aussi une voie anticonstitutionnelle. Contrairement la constitution française du 4 octobre 1958, la constitution du 20 janvier 2002 n’a prévu qu’un seul référendum : il s’agit du référendum législatif. Ce référendum est prévu à l’article 86 de la constitution, qui stipule que : « Le Président de la République peut, après consultation des Présidents des deux chambres du Parlement, soumettre au referendum tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, les garanties des droits et des libertés fondamentaux, l'action économique et sociale de l'Etat ou tendant à autoriser la ratification d'un traité »
le référendum relatif au projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics prévu par la constitution.
Ici ce qui retient notre attention et qui peut être mal interprété, c’est le référendum relatif au projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics. Ce référendum autorisé par la constitution n’est pas à confondre avec le référendum sur le changement de la constitution qui n’est pas prévu.
Organiser les pouvoirs publics ne signifie pas changer ou modifier la constitution. En effet, trois critères permettent de déterminer si un organe peut être considéré comme un pouvoir public :
Le but de l’organe doit pourvoir à un besoin d’utilité́ publique (mission de service publique).
Le législateur doit avoir doté l’organe des prérogatives de puissance publique, à afin de poursuivre le but précité́, soit le pouvoir d’imposer des décisions obligatoires à l’égard des tiers (par exemple la délivrance des diplômes ou certificats dans le cadre de l’enseignement)
L’autorité́ doit avoir été́ créée ou à tout le moins agréée par le pouvoir central, départemental, local et communal.
Organiser les pouvoirs publics consiste donc à organiser les institutions chargées de faire fonctionner une catégorie déterminée de service, de représenter, dans une tâche déterminée, un groupe d’individus. Dans le cas du Congo-Brazzaville, organiser les pouvoirs publics revient à organiser les collectivités locales, les départements, les communes, les ministères, les services publics, l’administration nationale, départementale et locale. Le président Denis Sassou Nguesso a bien, selon l’article 86 de la constitution, le pouvoir d’initier un référendum pour organiser ces organes mais ce pouvoir n’est pas à confondre avec le pouvoir de changer la constitution ou de modifier les article 57 et 185 alinéa 3 de la dite constitution. Il ne peut pas, par conséquent, changer ou modifier la constitution. Il peut cependant consulter le peuple par un référendum pour organiser les pouvoirs publics c’est-à-dire les organes créés ou mentionnés par la constitution et non pour changer la constitution.
mise en place d’une stratégie démagogique : l’appui sur le référendum du 28 septembre 1958
A propos du référendum français du 28 septembre 1958, le président Sassou Nguesso doit savoir que c’est le gouvernement d’union nationale dirigé par le Général De Gaulle qui a initié la modification de la constitution du 27 octobre 1946.
Les institutions de la Ve République ont été créées dans un contexte de crise politique générée par le problème algérien. En effet, au début du mois de mai 1958, les institutions de la IVème République sont engluées dans la guerre d’Algérie, qui provoque plus que jamais la division des partis. Après le soulèvement de l’armée et des français d’Algérie, le 13 mai 1958, la France est au bord de la guerre civile. Les parlementaires, qui craignent un coup d’Etat, investissent le Général De Gaulle à la tête d’un gouvernement, d’union nationale (1er juin 1958) et lui accordent les pleins pouvoirs pour six mois afin de maîtriser le problème algérien et de réviser la constitution.
Ces pleins pouvoirs sont cependant strictement encadrés par plusieurs principes que le gouvernement d’union nationale est tenu à respecter dans la nouvelle constitution. Celle-ci doit notamment garantir la séparation des pouvoirs exécutif et législatif, l’indépendance de la justice et conserver le régime parlementaire ; elle doit en outre être approuvée par référendum. Voilà comment la France de 1958 a organisé un référendum qui a permis au peuple français d’adopter la constitution du 4 octobre 1958.
S’appuyer sur l’histoire référendaire française pour tromper le peuple et justifier un coup d’état constitutionnel afin de se maintenir au pouvoir contre vents et marées, est inacceptable. La situation exceptionnelle de France de 1958 n’est pas la même que celle du Congo-Brazzaville en 2014.
La France de 1958 est d’abord et avant tout une démocratie tandis que le Congo de 2014 est une dictature. Le contexte politique qui a conduit à l’organisation du référendum du 28 septembre 1958 n’est pas le même et le Congo n’a pas un problème d’instabilité institutionnelle ni de crise majeure comme la guerre d’Algérie.
Donc le changement ou la modification de la constitution n’est pas possible au regard de la situation institutionnelle et politique du Congo-Brazzaville. Le seul problème et le plus important est le respect l’ordre constitutionnel car ce respect permet de garantir l’alternance politique qui est nécessaire et indispensable pour un Etat qui se dit démocratique Ce ne sont pas des belles phrases ou des belles intentions qui fondent un Etat démocratique mais des actes concrets par exemple le respect de l’alternance politique, les élections libres et transparentes…
Pour tout dire, en s’appuyant sur l’histoire référendaire de la France pour justifier son coup d’état constitutionnel, son déni de démocratie et de l’alternance politique, le président Sassou Nguesso n’a pas mesuré les conséquences de son acte dans la mesure où cet appui est purement démagogique. Le contexte politique actuel du Congo ne peut se comparer avec celui de France de 1958. Il y a donc le chef du président Sassou Nguesso et de son clan une intention manifeste de se maintenir au pouvoir en usant de ruse, de démagogie, d’intimidation, de manipulation et de menace. Cette intention met en danger la liberté d’expression en particulier et la situation des droits de l’homme en général au Congo-Brazzaville.
La question qu’on peut se poser au regard de la situation de la France de 1958 est la suivante : y a t-il une crise au Congo-Brazzaville qui justifie le changement ou de modification de la constitution ?
Maître Céleste Ngantsui
1 Version d’origine de l’article 11« : Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal officiel, peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, comportant approbation d'un accord de la Communauté ou tendant à autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.
Lorsque le référendum a conclu à l'adoption du projet de loi, le Président de la République le promulgue dans le délai prévu à l'article précédent. »
Le président Sassou Nguesso peut-il s’appuyer sur les trois référendums (1958, 1962 et 1969), pour justifier son coup d’état constitutionnel ?
I- Le caractère non pertinent, pervers et trompe l’œil de l’appui sur l’histoire référendaire de la France de 1958 à 1969
En dehors du référendum du 28 septembre 1958 organisé dans des circonstances exceptionnelle, neuf référendums ont été organisés sous la Ve République depuis l’adoption de la constitution du 4 octobre 1958, tous sur décision du chef de l’État et, pour la plupart, selon la procédure prévue à l’article 111 de la constitution du 4 octobre 1958. Seul le référendum du 24 septembre 2000 sur le quinquennat a été organisé en application de l’article 89 de la constitution susmentionnée.
Avant d’analyser les deux référendums (celui de 1962 et de 1969) organisés sous la 5ème République, il convient d’analyser d’abord le référendum sur la révision de la constitution du 28/09/1958. En effet, c’est sur ces trois référendums que le président Denis Sassou Nguesso s’est appuyé pour justifier son projet de référendum trompe l’œil pour se maintenir au pouvoir.
Le référendum du 28 septembre 1958
Le référendum du 28/09/1958 n’a pas été initié par le président de la République française Jules Gustave René Coty (président français de 1954 à 1959). Mais par le Général De Gaulle, nommé président du conseil par le président de la République René Coty le 1er juin 1958, qui pour accepter de reprendre le pouvoir à poser deux conditions :
.gouverner par ordonnance pour une durée de 6 mois et
.pouvoir modifier la constitution.
L’acceptation de ces conditions est traduite par l’adoption de la loi constitutionnelle du 3/06/1958 portant dérogation transitoire aux dispositions de l’article 90 de la constitution du 27/10/1946 par l’assemblée nationale.
La modification de la constitution du 27/10/1946 qui a conduit à la mise en place de la constitution du 4/10/1958 ne s’est pas fait dans la manipulation, le clientélisme, l’instrumentalisation et la corruption du peuple. Elle est au contraire le résultat d’un consensus entre le président René Coty qui a menacé de démissionner et le parlement dominé par la gauche. De plus cette modification de la constitution n’était pas faite pour une convenance personnelle, car le Général De Gaulle qui l’a initié en tant que président du conseil(premier ministre), est devenu président de la République française le 8 janvier 1959 et a ensuite démissionné le 28 avril 1969.
L’article 90 de la constitution du 27/10/1946, qui a fait l’objet d’une dérogation par la loi constitutionnelle du 3/06/1958, n’était pas mis sous les verrous de la non révision comme l’article 185 alinéa 3 de la constitution du 20 janvier 2002.
Le référendum du 28 octobre 1962
Initié par le Général De Gaulle, ce référendum portait sur une révision constitutionnelle de très grande ampleur : l’élection du Président de la République au suffrage universel direct.
Auparavant le Président de la République française était élu par un collège électoral composé d'environ 81 764 grands électeurs (parlementaires, conseillers généraux, élus municipaux). Ce principe s'inscrivait dans la tradition française des IIIème et IVème républiques. C’est en effet de cette façon que le Général De Gaulle était devenu le 18ème Président de la République Française le 8 janvier 1959 et le premier président de la Vème République
L'Assemblée nationale était ainsi la seule instance nationale élue au suffrage universel direct, source forte de légitimité, afin de contrebalancer les pouvoirs élargis dont disposait le président de la République dans la nouvelle constitution (la constitution du 4 octobre 1958). Pendant la guerre d'Algérie, le Général De Gaulle affirma petit à petit la prééminence du président dans la vie institutionnelle et vers la fin de la guerre, il exprima le souhait d'inscrire cette évolution dans la constitution en instituant l'élection du président de la République au suffrage universel direct plutôt que par un collège de grands électeurs élus. Pour consulter le peuple français, le Général De Gaulle a usé de ses pouvoirs constitutionnels (prévus par la constitution française du 4 octobre 1958). En effet, dans cette constitution, il y a deux articles qui permettent au président de la République d’initier des référendums ; il s’agit de l’article 11 qui institue le référendum législatif et 89 qui institue le référendum constituant.
Pour éviter la procédure lourde et complexe de l’article 89, le Général De Gaulle a utilisé de l’article 11 de la constitution pour soumettre au référendum son projet de révision constitutionnelle portant sur l’élection du Président de la République au suffrage universel.
En effet, le référendum constituant, prévu à l’article 89 de la Constitution est initié par le président de la République ou le parlement ; il permet la révision de la Constitution. Ce référendum intervient après le vote, dans les mêmes termes, par les deux assemblées, du texte de révision proposé. Si la réponse est positive, la révision est adoptée.
Le référendum du 28 octobre 1962 était conforme à la constitution française et le Général De Gaulle a utilisé l’article 11 pour éviter de passer par le parlement. Il n’y a donc rien d’anticonstitutionnel.
Ce qu’il convient de souligner ici, c’est la conformité du référendum du 28 octobre 1962 à la constitution. Le Général De Gaulle en prenant l’initiative avait bien le pouvoir constitutionnel de consulter le peuple français sur la question de l’élection présidentielle au suffrage universel. L’élection du président de la République par un collège électoral, n’était pas mise sous les verrous de la non révision comme la question de la limitation des mandats dans la constitution du 20 janvier 2002.
Le référendum du 27 avril 1969
Le référendum du 27 avril 1969 a été organisé conformément à l’article 11 de la constitution du 4 octobre 1958. Cet article institue comme dit précédemment le référendum législatif. Le but de ce référendum était de demander le peuple français de se prononcer sur le projet de loi relatif à la régionalisation (la création des régions) et à la rénovation du sénat. En réalité le débat portait surtout sur le maintien ou non du Général De Gaulle au pouvoir. Le résultat négatif (Non 52,41%, Oui 47,59% et abstention 19,87%) a conduit à la démission du Général De Gaulle le 28 avril 1969.
Au regard de tout ce qui précède, force est de constater que les deux référendums organisés, à l’initiative du Général De Gaulle, étaient tous conformes à l’article 11 constitution ; ce qui revient à dire que ces référendums étaient tous prévus par la constitution. Le Général De Gaulle n’a pas tripatouillé la constitution en initiant les deux référendums pour se maintenir au pouvoir. Il a au contraire utilisé ses pouvoirs constitutionnels c’est-à-dire les pouvoirs prévus par la constitution pour le bien de la France et non pour convenance personnelle. Sa démission au lendemain du non au référendum du 27 avril 1969 dit tout.
Discussion
Le président Denis Sassou Nguesso ne peut s’appuyer sur les référendums de 1958, 1962 et 1969, pour justifier son projet de référendum anticonstitutionnel. D’ailleurs les référendums français de 1962 et 1969 étaient tous conformes à l’article 11 de la constitution. En effet, à propos de l’utilisation de cet article, François Mitterrand déclarait dans un entretien destiné à la revue Pouvoir que : « l’usage de l’article 11 établi et approuvé par le peuple peut désormais être considéré comme l’une des voies de la révision concurremment avec l’article 89 » (Les débats sur le référendum sous la Vème République, Pouvoirs n°77, avril 1996, p. 97-110)
Alors son projet de référendum pour changer la constitution est-il conforme à quel article de la constitution du 20 janvier 2002 ?
Ce projet n’est pas juridiquement fondé dans la mesure où il n’y a pas de base constitutionnelle permettant de justifier et/ou de mettre en œuvre un tel projet. La référence à l’histoire référendaire française est une erreur grave que le président Sassou Nguesso a commis qui montre qu’il veut à tout prix changer la constitution pour sa convenance personnelle afin de se maintenir au pouvoir
Cette référence dénote que le président Sassou Nguesso a une immaturité politique et une ignorance notoire de l’histoire des institutions françaises de la 5ème République. A travers cette référence, on constate avec force que le peuple n’est pas respecté et qu’il est pris comme un instrument maniable et manipulable au service de Sassou et de son clan. Cette considération met en doute l’argument présenté par le président Sassou selon lequel, le peuple congolais est souverain. La souveraineté consiste d’abord à respecter son peuple et non à le manipuler pour ses intérêts. Un peuple est souverain quand il est libre de choisir ses représentants, de s’exprimer et de dire non à ses représentants.
Un peuple embrigadé, abusé, manipulé et aveuglé n’est pas souverain ; dire qu’il est souverain c’est se moquer de ce peuple.
Le président Sassou Nguesso ne peut pas parler au nom du peuple qu’il a pris en otage ; quand il parle au nom du peuple c’est pour défendre ses intérêts et non ceux du peuple.
La souveraineté c’est laisser le peuple s’exprimer librement et choisir ses représentants dans une élection démocratique et transparente. Torturer le peuple pour qu’il fasse ce que vous vouliez c’est nier sa souveraineté.
Le besoin ou la nécessité de disposer d’une nouvelle constitution apparaît en effet lors qu’il y a un vide constitutionnel créé par un événement exceptionnel ayant détruit le précédent ordre constitutionnel qu’il convient dès lors de remplacer. Le Congo-Brazzaville n’a pas un vide constitutionnel pouvant justifier le besoin de disposer d’une nouvelle constitution. Il a au contraire besoin du respect de l’alternance politique instituée par la constitution pour qu’il soit fort et fiable.
Le besoin du Congo c’est l’alternance politique, le respect de la démocratie, le respect des droits de l’homme et l’instauration de l’état de droit et non le maintien de Sassou Nguesso au pouvoir.
II-Le caractère anticonstitutionnel du projet sur le changement ou la modification de la constitution du 20/01/2002
L’article 57 de la constitution congolaise du 20 janvier 2002 stipule que : « Le Président de la République est élu pour sept ans au suffrage universel direct. Il est rééligible une fois. » Cet article définit la durée du mandat présidentiel tout en précisant le nombre de mandats qu’un candidat peut faire. Au delà de deux mandats, il n’est plus possible d’être candidat à l’élection présidentielle. Cette règle s’applique à tout le monde sans exception.
Pour empêcher qu’elle ne soit dérogée, le pouvoir constituant originaire a mis en place un verrou. C’est l’article 185 alinéa 3 qui interdit de réviser le nombre de mandats du président de la République. Il le dit en termes : « La forme républicaine, le caractère laïc de l'Etat, le nombre de mandats du Président de la République ainsi que les droits énoncés aux titres I et II ne peuvent faire l'objet de révision. »
Au regard de ces deux articles, force est de constater que le nombre de mandats du président de la République ne peut faire l’objet de modification, de changement et de dérogation. Cette disposition est incontournable dans la mesure où elle institue l’alternance politique qui est une condition nécessaire à la démocratie.
Au verrou sur la limitation du nombre des mandats, la constitution ajoute celui de l’âge. C’est l’article 58, 5° qui limite l’âge du candidat aux fonction de président de la République à 70 ans. Au delà de 70 ans ce n’est plus possible d’être candidat. L’article 58, 5° dispose à cet effet que : « Nul ne peut être candidat aux fonctions de Président de la République : s'il n'est âgé de quarante ans, au moins, et de soixante dix ans, au plus, à la date du dépôt de sa candidature ; »
Le projet de changer la constitution ou de modifier les articles 57 et 185 alinéa 3 est en soi anticonstitutionnel, car la constitution du 20 janvier 2002 n’a pas prévu son changement. La voie du référendum d’initiative populaire est aussi une voie anticonstitutionnelle. Contrairement la constitution française du 4 octobre 1958, la constitution du 20 janvier 2002 n’a prévu qu’un seul référendum : il s’agit du référendum législatif. Ce référendum est prévu à l’article 86 de la constitution, qui stipule que : « Le Président de la République peut, après consultation des Présidents des deux chambres du Parlement, soumettre au referendum tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, les garanties des droits et des libertés fondamentaux, l'action économique et sociale de l'Etat ou tendant à autoriser la ratification d'un traité »
le référendum relatif au projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics prévu par la constitution.
Ici ce qui retient notre attention et qui peut être mal interprété, c’est le référendum relatif au projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics. Ce référendum autorisé par la constitution n’est pas à confondre avec le référendum sur le changement de la constitution qui n’est pas prévu.
Organiser les pouvoirs publics ne signifie pas changer ou modifier la constitution. En effet, trois critères permettent de déterminer si un organe peut être considéré comme un pouvoir public :
Le but de l’organe doit pourvoir à un besoin d’utilité́ publique (mission de service publique).
Le législateur doit avoir doté l’organe des prérogatives de puissance publique, à afin de poursuivre le but précité́, soit le pouvoir d’imposer des décisions obligatoires à l’égard des tiers (par exemple la délivrance des diplômes ou certificats dans le cadre de l’enseignement)
L’autorité́ doit avoir été́ créée ou à tout le moins agréée par le pouvoir central, départemental, local et communal.
Organiser les pouvoirs publics consiste donc à organiser les institutions chargées de faire fonctionner une catégorie déterminée de service, de représenter, dans une tâche déterminée, un groupe d’individus. Dans le cas du Congo-Brazzaville, organiser les pouvoirs publics revient à organiser les collectivités locales, les départements, les communes, les ministères, les services publics, l’administration nationale, départementale et locale. Le président Denis Sassou Nguesso a bien, selon l’article 86 de la constitution, le pouvoir d’initier un référendum pour organiser ces organes mais ce pouvoir n’est pas à confondre avec le pouvoir de changer la constitution ou de modifier les article 57 et 185 alinéa 3 de la dite constitution. Il ne peut pas, par conséquent, changer ou modifier la constitution. Il peut cependant consulter le peuple par un référendum pour organiser les pouvoirs publics c’est-à-dire les organes créés ou mentionnés par la constitution et non pour changer la constitution.
mise en place d’une stratégie démagogique : l’appui sur le référendum du 28 septembre 1958
A propos du référendum français du 28 septembre 1958, le président Sassou Nguesso doit savoir que c’est le gouvernement d’union nationale dirigé par le Général De Gaulle qui a initié la modification de la constitution du 27 octobre 1946.
Les institutions de la Ve République ont été créées dans un contexte de crise politique générée par le problème algérien. En effet, au début du mois de mai 1958, les institutions de la IVème République sont engluées dans la guerre d’Algérie, qui provoque plus que jamais la division des partis. Après le soulèvement de l’armée et des français d’Algérie, le 13 mai 1958, la France est au bord de la guerre civile. Les parlementaires, qui craignent un coup d’Etat, investissent le Général De Gaulle à la tête d’un gouvernement, d’union nationale (1er juin 1958) et lui accordent les pleins pouvoirs pour six mois afin de maîtriser le problème algérien et de réviser la constitution.
Ces pleins pouvoirs sont cependant strictement encadrés par plusieurs principes que le gouvernement d’union nationale est tenu à respecter dans la nouvelle constitution. Celle-ci doit notamment garantir la séparation des pouvoirs exécutif et législatif, l’indépendance de la justice et conserver le régime parlementaire ; elle doit en outre être approuvée par référendum. Voilà comment la France de 1958 a organisé un référendum qui a permis au peuple français d’adopter la constitution du 4 octobre 1958.
S’appuyer sur l’histoire référendaire française pour tromper le peuple et justifier un coup d’état constitutionnel afin de se maintenir au pouvoir contre vents et marées, est inacceptable. La situation exceptionnelle de France de 1958 n’est pas la même que celle du Congo-Brazzaville en 2014.
La France de 1958 est d’abord et avant tout une démocratie tandis que le Congo de 2014 est une dictature. Le contexte politique qui a conduit à l’organisation du référendum du 28 septembre 1958 n’est pas le même et le Congo n’a pas un problème d’instabilité institutionnelle ni de crise majeure comme la guerre d’Algérie.
Donc le changement ou la modification de la constitution n’est pas possible au regard de la situation institutionnelle et politique du Congo-Brazzaville. Le seul problème et le plus important est le respect l’ordre constitutionnel car ce respect permet de garantir l’alternance politique qui est nécessaire et indispensable pour un Etat qui se dit démocratique Ce ne sont pas des belles phrases ou des belles intentions qui fondent un Etat démocratique mais des actes concrets par exemple le respect de l’alternance politique, les élections libres et transparentes…
Pour tout dire, en s’appuyant sur l’histoire référendaire de la France pour justifier son coup d’état constitutionnel, son déni de démocratie et de l’alternance politique, le président Sassou Nguesso n’a pas mesuré les conséquences de son acte dans la mesure où cet appui est purement démagogique. Le contexte politique actuel du Congo ne peut se comparer avec celui de France de 1958. Il y a donc le chef du président Sassou Nguesso et de son clan une intention manifeste de se maintenir au pouvoir en usant de ruse, de démagogie, d’intimidation, de manipulation et de menace. Cette intention met en danger la liberté d’expression en particulier et la situation des droits de l’homme en général au Congo-Brazzaville.
La question qu’on peut se poser au regard de la situation de la France de 1958 est la suivante : y a t-il une crise au Congo-Brazzaville qui justifie le changement ou de modification de la constitution ?
Maître Céleste Ngantsui
1 Version d’origine de l’article 11« : Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal officiel, peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, comportant approbation d'un accord de la Communauté ou tendant à autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.
Lorsque le référendum a conclu à l'adoption du projet de loi, le Président de la République le promulgue dans le délai prévu à l'article précédent. »
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